Début Avril 2013 le Dr. Imad Fawzi Shueibi parlait pour la première fois sur une chaine de télévision, en l’occurrence la chaîne Al-Mayadeen, des découvertes pétro-gazières en Méditerranée orientale transformant certains pays du Moyen-Orient en États producteurs et exportateurs de gaz et de pétrole. Une véritable surprise, pour les non initiés, concernant essentiellement la Syrie, le Liban, Chypre, Israël et la Turquie. Il avait alors divulgué les documents et graphiques de deux sociétés norvégiennes spécialisées dans l’exploration du sous-sol ayant ratissé la côte méditerranéenne sur 5000 Km2.
Ces informations expliquent en grande partie l’intensité du conflit autour et contre la Syrie dont les ressources seraient de loin les plus importantes, d’autant plus qu’il nous apprend que la société franco-américaine « CGGVeritas » est entrée sur la ligne en rachetant les deux sociétés norvégiennes qui n’avaient pas livré tous leurs petits secrets.
Aujourd’hui, les masques sont tombés et ne dissimulent plus ni les causes, ni les moyens, ni les trahisons, ni les mensonges, ni les crimes, ni les turpitudes ayant nourri cette sale guerre dite « par procuration » ; ce qui lui a fait dire que la Syrie vivait une « malédiction » là où elle aurait pu espérer le contraire.
Les masques sont tombés, mais la guerre continue malgré tout. En voici quelques raisons tout bêtement commerciales extraites d’une émission TV de la chaîne libanaise NBN [NdT].
1. Docteur Shueibi, pensez-vous que la Syrie se dirige vers une stabilisation obligée ?
Je pense que nous nous dirigeons obligatoirement vers cela, car il s’agit d’une région riche en gaz et en pétrole pour les cent années à venir, sans compter les gazoducs qui devront la traverser. J’ajoute que je vois dans les derniers évènements auxquels nous venons d’assister le règlement du conflit arabo-israélien. Ceci semble encore plus évident si nous tenons compte des récentes critiques, presque menaçantes, prononcées par Kerry à l’encontre de Netanyahou lorsqu’il lui a rétorqué : « Est-ce qu’Israël veut une troisième Intifada?» [1].
Parlant de nouvelle intifada, Kerry a sans doute signifié aux Israéliens que si depuis toujours ils agissent à leur guise en tuant et emprisonnant comme bon leur semble, c’est bien parce qu’ils sont protégés par l’ami américain. Mais voilà que les USA ainsi que la Russie veulent régler les problèmes de la région et en éteindre l’incendie. A-t-on jamais vu des guerres dans une une région gazière et pétrolière ?
2. Parlez-vous d’une paix prochaine non seulement pour la Syrie mais pour toute la région ?
Sans vraiment insister sur le mot « paix », parlons plutôt d’une sorte de stabilité ou de nouveaux équilibres entre les forces belligérantes…
3. Quand ?
Dans un délai de 10 ans.
4. Est-ce à dire que la région ne connaîtra pas de stabilité avant dix ans ?
Je pense que si Israël persiste dans son entêtement, il n’y aura pas de retour à la stabilité et cela affectera toute la région, y compris Israël. Mais peut-être que l’on arrivera à assouplir ses positions… Notez que Netanyahou, malgré sa bouderie, compte se rendre en Russie le 20 Novembre et qu’il a eu un contact téléphonique avec Poutine hier.
L’Israélien est, à ma connaissance, d’une grande intelligence lorsqu’il s’agit de rejoindre les forces ascendantes. Rappelez-vous qu’en 1956 il a vite permuté de la France et de la Grande Bretagne vers les USA. Aujourd’hui, c’est la Russie et la Chine qui montent ! N’oubliez pas non plus que la Russie a signé un accord concernant le champ gazier situé au Nord d’Israël, lequel champ est imbriqué avec celui du Liban. Par conséquent, je demande à mes frères libanais : « Ne vous-êtes vous pas posés la question de savoir pourquoi autant de précipitations concernant le dossier pétro-gazier ? ».
5. Précipitation des Israéliens pour voler nos ressources à nos frontières !
Cela fait un bout de temps qu’ils volent… mais ceux qui courent après ce dossier ont fini par sentir qu’il était temps de songer au partage de ces ressources.
6. Autrement dit, la part qui doit nous revenir à nous les Libanais ?
Oui, la part libanaise. Mais la question dangereuse concerne la Syrie qui, en plus du gaz et du pétrole dont elle regorge, est sur le trajet que doivent emprunter divers gazoducs. Alors de deux choses l’une ; soit le calme revient d’ici deux ans, suivi par les appels d’offre, les forages aboutissant à la production dans un délai de 7 années ; soit il y a ajournement par ceux que cela arrange de laisser brûler la Syrie pour que le prix du gaz reste élevé.
Ce prix restera élevé tant que le gaz syrien n’est pas exploité, que le gaz iranien reste pour une grande part hors circuit, que le sort du gaz qatari [à l’origine de tout ce jeu] reste indéterminé, et que le gaz de l’Arabie saoudite n’est pas rendu en mer Méditerranée. Tant qu’il en est ainsi, les prix du gaz israélien et du gaz russe resteront élevés !
7. C’est pourquoi l’on reporterait la stabilisation à plus tard ?
L’une des théories israéliennes voudrait que cette instabilité perdure tant qu’Israël n’aurait pas écoulé la moitié de son gaz. Elle implique que sur ses 20 années de réserves, il pourra vendre la moitié de son gaz à prix élevé pendant 10 ans pour ne pratiquer qu’ensuite le tarif mondial qui ira nécessairement à la baisse.
C’est une théorie que nous devons prendre en considération, tout en sachant que le problème ne dépend pas de la seule volonté d’Israël. Mais si elle devait se vérifier, une analyse à froid m’amène à penser qu’une telle situation serait toute aussi intéressante pour la Russie qui fournit 46% du gaz européen.
8. Mais n’est-il dans l’intérêt de la Russie d’exploiter le gaz de notre région ?
Bien-sûr, c'est dans son intérêt.
9. Et comme vous venez de le dire, elle exploitera le gaz des territoires occupés et participera pour une grosse part à l’exploitation du gaz syrien ?
Et dans ce cas, ce qui devient encore plus important est le prix du gaz. En effet, s’il y a entente entre la Russie, l’Europe et les USA, la théorie israélienne n’est plus valable. La Syrie en aura terminé avec cette malédiction et le problème syrien sera résolu. D’ailleurs, il me semble que la Russie et les USA accélèrent dans ce sens et qu’ils se sont déjà entendus non seulement sur les modalités d’exploitation mais aussi sur les prix.
10. Mais alors, partant de la théorie qui veut que l’exploitation des ressources pétro-gazières nécessite la stabilité de la région, pourquoi a-t-on allumé cette guerre incendiaire en Syrie, avec son cortège de sang, de morts et de destructions ? Pourquoi n’a-t-on pas commencé par profiter de la stabilité qui y régnait quitte à changer d’avis en cas d’échec ?
C’est une question de rigidité ou de souplesse des prises de position des uns et des autres, et il nous faut envisager la synthèse de tout ce qui se passe dans notre région en sachant que nous ne pouvons toujours pas en donner une image définitive. Cette image est jusqu’ici incertaine et ne pourra être réglée qu’en fonction de la nature des conflits, l’arrêt des combats, les ententes régionales, internationales et nationales.
Si l’Arabie saoudite n’arrête pas son escalade dans la violence et persiste à refuser de suivre les USA, la guerre sera longue ! Certains disent qu’elle est totalement inféodée aux USA et qu’elle suivra leurs directives. D’autres pensent qu’elle profite de leur faiblesse et se rebiffe réclamant sa place au soleil. De nombreux centres de recherche en arrivent à la conclusion que l’Arabie saoudite peut encore mener sa « Guerre du pétrole » et que même si les USA peuvent produire 12 millions de barils de pétrole de schistes ou autres, par jour ; ils auront quand même besoin de 4 millions de barils supplémentaires par jour. Ils devront se les procurer en grande partie du côté de cette même Arabie saoudite qui reste ainsi un facteur non négligeable de l’équation, malgré sa dépendance… Ce n’est que dans environ trois mois que nous pourrons savoir si elle s’obstine dans sa rébellion ou obtempère, à moins qu’elle ne subisse à son tour les méfaits de conflits internes. Ce que je ne lui souhaite pas.
11. Ces conflits internes n’auront peut-être pas lieu étant donné la stabilité requise pour la région ?
Rappelez-vous les paroles de Richard Perle disant que le « chaos constructif » de notre région devait commencer par l’Irak, puis passer au Liban, à la Syrie, à l’Arabie saoudite pour terminer par le grand prix censé être l’Egypte. L’Arabie saoudite était dans le collimateur… J’espère qu’elle saura raison garder.
12. Mais qui a dit que le dossier du gaz avait une telle incidence sur ce qui se passe ? Qui a dit qu’il y avait de telles ressources pétro-gazières en Syrie et au Liban ? Quelles sont les études menées dans ce cadre ?
J’ai déjà exposé une partie de ces études sur Sham FM en 2012, puis dernièrement sur la Chaîne TV Al-Mayadeen [3] [4]. C’est pourquoi, je me contenterai d’en rappeler l’essentiel avant d’apporter des données supplémentaires.
La société norvégienne Inseis a délivré à la Syrie les résultats d’une première exploration off-shore en deux dimensions [2D]. Elle révélait les 14 gisements de pétrole dont j’ai déjà parlés. Ensuite, une deuxième société toujours norvégienne, la SAGEX, a repris le travail et a rendu des résultats comparables à la précédente en se gardant de communiquer les résultats des données sismiques transformées en 3D permettant une estimation bien plus quantitative du rendement des gisements en sols marins que la 2D. Puis, ces deux sociétés ont été rachetées par « CGGVéritas » qui est une société franco-américaine basée à Londres. Cette dernière société a donc récupéré le contrat et les données concernant la Syrie. Et là, le jeu devient plus clair !
Ainsi, lorsque j’avais présenté une première image sur Al-Mayadeen j’avais dit que les premières estimations des rendements pétroliers pour les gisements [14-9-10-13] s’étendant de la frontière libanaise jusqu’à Banias seraient équivalents à ceux du Koweït. Je m’étais basé sur les données 3D prétendument non acquises par la SAGEX. En effet, ces données que j’ai pu consulter indiquent des rendements de 1,6 à 2 millions de barils de pétrole / Jour.
13. Sans parler du gaz ?
Oui, ces chiffres concernent uniquement le pétrole. Quant au gaz, j’avais dit que les gisements étaient considérables en territoire syrien avec un rendement estimé dix fois supérieur à ceux d’Israël et du Liban réunis, le centre étant localisé à Qara entre Damas et Homs.
14. Donc on-shore ?
Absolument ! Mais les sols marins sont aussi très riches en gisements gaziers, les rendements estimés augmentant sensiblement au fur et à mesure que vous remontez vers la côte syrienne. Et, pour en revenir au pétrole, si l’on additionnait les rendements des gisements syriens on arriverait à un total se situant entre ceux de l’Irak et de l’Iran !
15. Autrement dit la Syrie est nantie en pétrole et en gaz et le jeu valait son coût ?
Il le valait, d’autant plus si nous intégrons les trajets des gazoducs que j’ai déjà détaillés. Ainsi le projet de gazoduc russe South Stream qui passe par la Mer Noire et se dirige vers l’Autriche, traversant toute l’Europe, est un concurrent direct du projet Nabucco passant par la Turquie. Il a été voulu par les USA pour servir l’Europe en court-circuitant la Russie. La bataille s’est finalement soldée en faveur de la Russie pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas ici [3].
Et, à l’avenir, tout porte à croire que le secteur germanique l’emportera dans l’équation européenne et que nous assisterons à une coopération sans précédent entre la Russie ; l’Allemagne et l’Autriche. Personnellement, je vois l’Allemagne comme une future grande puissance disposant d’un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies.
16. La coopération russo-allemande est déjà bien avancée !
En effet. Tout est affaire d’intérêts commerciaux. Le gazoduc russe North Stream qui se dirige directement vers l’Allemagne via la Mer Baltique est l’un des secrets des relations particulières entre ces deux pays. Ceci dit, je pense qu’il est faux de dire que la Russie agit contre l’Europe. La Russie n’est pas l’URSS et il n’est pas interdit d’imaginer des lendemains plus ensoleillés, car ses relations avec l’Europe sont indestructibles.
De notre côté, nous avons à faire avec le gaz qatari et le gaz iranien issus d’un site d’exploitation off-shore [North Dome] situé à la frontière des deux pays. La partie iranienne [South Pars en jaune sur cliché de capture d’écran] est plus riche que la partie qatarie [en rose]. Les gazoducs respectifs doivent suivre un trajet passant par la Syrie !
17. C’est donc la fameuse nouvelle route de la soie dont vous avez parlé à plusieurs reprises ?
Exactement. Et je pense que c’est là le nœud des problèmes auxquels devra s’ajouter celui de l’acheminement des énormes quantités de gaz des régions de Rub’ Al-Khali et de Ghawar située au sud-ouest de Riad ; problème non encore résolu.
Le Qatar avait l’intention de faire passer son gazoduc par le territoire syrien [4], mais voilà que l’accord signé en Août 2011 entre l’Iran, l’Irak et la Syrie résout le problème de l’acheminement du gaz iranien vers la mer Méditerranée sans régler celui de l’acheminement du gaz qatari. Il ne lui restait plus que l’option de son transport par voie maritime qui nécessiterait une flotte de 1000 navires. Un coût exorbitant ramenant les bénéfices qataris escomptés, sur plusieurs années, de 800 milliards de dollars à 80 milliards ! Par ailleurs, il n’est pas exclu que le gaz saoudien doive suivre le même trajet en direction de la Syrie.
18. Les dossiers du gaz sont donc fondamentaux dans la crise syrienne?
Absolument. C’est pourquoi, je ne peux que répéter à mes compatriotes syriens que nous sommes face à des « conflits d’intérêts commerciaux » impliquant les multiples facteurs d’une même équation : Russie, USA, Israël, Iran, Turquie, Arabie saoudite, Qatar, etc. L’unique moyen de nous en sortir serait que chacun puisse y trouver son compte. C’est à cela que nous devons raisonnablement travailler.
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