dimanche 2 octobre 2016

Pourquoi la Birmanie tue ses musulmans ?

La minorité musulmane birmane est la cible depuis la semaine dernière de véritables pogroms instigués par des moines extrémistes.

La voie vers la démocratie est un long chemin semé d'embûches. Les musulmans de Birmanie en font l'amère expérience depuis deux ans. Quartiers éventrés, mosquées parties en fumée, et corps calcinés gisant à même le sol..., cette minorité, qui représente 4 % des 55 millions de Birmans, est de nouveau victime de véritables pogroms perpétrés par la population bouddhiste. Quarante personnes ont été tuées la semaine dernière et plus de 12 000 déplacées dans la ville de Meiktila dans le centre du pays, forçant l'armée à instaurer l'état d'urgence. Les violences ont depuis gagné d'autres villages et se rapprochent désormais dangereusement de l'ancienne capitale, Rangoun. 

À l'origine, une simple querelle entre un vendeur musulman et des clients bouddhistes, qui a dégénéré en affrontements. Pendant trois jours, des groupes d'émeutiers ont détruit tout ce qu'il y avait de musulman sur leur passage, transformant la ville de Meiktila en véritable coupe-gorge. "Ces groupes de civils bouddhistes ont été fanatisés par une minorité de moines extrémistes", explique au Point.fr Maël Raynaud, analyste indépendant spécialiste de la Birmanie. "Ces religieux tirent parti du profond racisme existant au sein de la société birmane."

Autocollants de la honte

Contacté sur place par Le Point.fr, un chercheur, qui a requis l'anonymat, évoque "des autocollants représentant le nombre 969 (1), distribués à des responsables de magasin et à des taxis, afin qu'ils l'apposent sur leur commerce et garantissent ainsi leur caractère bouddhiste". Cette campagne ouvertement raciste et anti-musulmane a tourné à l'invitation au meurtre. Elle est principalement le fait des moines bamars, l'ethnie majoritaire d'un pays qui en compte 135.

Concentrés dans la plaine centrale de l'Irrawaddy, les Bamars, de confession bouddhiste, forment 75 % de la population birmane. Parmi le quart restant figurent les minorités shans (bouddhistes), les Karens (bouddhistes et chrétiens), les Arakanais (bouddhistes) et les Kachins (chrétiens), qui sont, eux, situés dans les zones montagneuses - et riches - entourant le pays. L'Empire britannique des Indes (XIXe et XXe siècles) a également favorisé l'arrivée sur le territoire birman de travailleurs musulmans en provenance du sous-continent indien, même si les premières conversions à l'islam en Birmanie datent du VIIIe siècle. Or, ces minorités ont toujours été victimes du racisme ordinaire de l'ethnie bamar au pouvoir. 

Instrumentalisation

"Les Bamars se considèrent comme les seuls vrais Birmans", explique Maël Raynaud. "Tous les autres peuples ne sont vus que comme des invités qui ne sont qu'hébergés dans le pays." L'indépendance de la Birmanie en 1948 devait assurer l'émergence d'un gouvernement démocratique et fédéral. Cette dernière condition ne sera jamais respectée. Dès 1948, les minorités ethniques se soulèvent contre le gouvernement central (bamar), précipitant le coup d'État de l'armée en 1962. Celle-ci dirigera le pays d'une main de fer durant cinquante ans. 

"Dès lors, le pouvoir a instrumentalisé le bouddhisme pour consolider son processus d'unité nationale", rappelle Alexandra de Mersan, anthropologue spécialiste de la Birmanie, à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Principale cible de cette politique discriminatoire, la communauté des Rohingyas. Ces musulmans d'origine bengalie, dont 800 000 peuplent l'État de l'Arakan, au nord-ouest du pays, ont été déchus de la citoyenneté en 1982. "Ils n'ont pas d'État et sont arbitrairement considérés comme des étrangers, ce qui est faux", assure au Point.fr Phil Robertson, chercheur à Human Rights Watch.

Instrumentalisation de la peur

Extorsion de leurs terres, difficultés à se marier ou interdiction d'étudier, les Rohingyas sont, d'après l'ONU, la "minorité la plus persécutée au monde". Si elle fait tout pour les forcer à quitter la Birmanie, quitte à les placer dans des camps aux conditions de vie misérables, la junte militaire va en parallèle attiser chez les habitants de l'Arakan (les Arakanais) une véritable haine anti-Rohingyas. "Il s'est développé chez eux une réelle peur par méconnaissance de l'islam", raconte Alexandra de Mersan. "Les Arakanais ont notamment été très choqués par la destruction par les talibans des Bouddhas de Bâmiyân, en mars 2001 en Afghanistan, mais aussi par le 11 Septembre, dont les images ont été allègrement diffusées par la télévision birmane." 

Le départ de la junte du pouvoir et la démocratisation du pays ne pouvaient donc qu'exacerber ce ressentiment. "Les haines, retenues par des chapes de plomb, se sont alors exprimées au grand jour", résume l'analyste Maël Raynaud. "Pour les Arkanais, la démocratie signifiait dès lors que tout était permis." Le scénario tant redouté intervient en juin et en septembre 2012. Cette fois, c'est le viol d'une femme bouddhiste qui fait office d'étincelle. Les affrontements sont terribles et feront au moins 180 morts. Très vite, les forces de sécurité birmanes sont accusées - au mieux - de passivité, - au pire - de complicité dans les violences.

Le silence d'Aung San Suu Kyi

"Si certains ont effectivement été pris par surprise, nous avons vu des policiers tirer directement sur des Rohyngias qui luttaient pour éteindre des feux", affirme Phil Robertson de Human Rights Watch. À l'époque, de nombreux messages de haine ciblant les membres de cette minorité - "des monstres noirs" - sont diffusés sur Internet et même relayés par une partie de la presse birmane. Le chercheur y voit d'ailleurs un lien avec les violences actuelles. "Ce genre de pamphlets incendiaires anti-musulmans fleurit aujourd'hui dans de nombreux villages et pousse à l'action, d'autant plus que les auteurs bénéficient d'un sentiment d'impunité."

"Il ne s'agit pas tant de laisser-faire que d'un manque de savoir-faire de la part des forces de l'ordre, qui n'ont pas de troupes antiémeute", juge toutefois Maël Raynaud. "D'un côté, il est difficile pour un soldat bouddhiste d'arrêter un moine, de l'autre le gouvernement (présidé par l'ancien général de la junte Thein Sein, NDLR) ne souhaite certainement pas se mettre le peuple à dos, notamment dans l'optique des prochaines élections législatives de 2015." Le président Thein Sein n'est pas le seul à faire ce calcul. Grande figure de la lutte pour les droits de l'homme, le Nobel de la paix Aung San Suu Kyi frappe depuis le début de la crise par son silence. 

Celle qui est désormais députée de l'opposition a même assisté mercredi pour la première fois aux cérémonies annuelles de l'armée, qui l'a pourtant maintenue enfermée pendant 15 ans. Une stratégie hautement politique, selon Maël Raynaud. "Aung San Suu Kyi ne peut pas se mettre à dos la population, l'armée et les membres de son propre parti. Or, ils sont tous profondément racistes."

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