Affichage des articles dont le libellé est CIA. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est CIA. Afficher tous les articles

samedi 22 octobre 2016

La naissance d'Al Qaida

Ce texte est extrait du livre "Proche-Orient, une guerre mondiale ?" De Pierre-Henri Bunel, paru en octobre 2004.


Toutes les sessions de la conférence Islamique donnent lieu à des relevés de décisions comme toutes les réunions destinées à servir à quelque chose. Pour mettre sur pied les ordres du jour, il fallait au début de l'histoire de l'Organisation de la Conférence Islamique de longues tractations entre les représentants des pays membres. Ces débats avaient lieu à Djeddah, siège du secrétariat de l'OCI, ou dans d'autres villes de pays musulmans. Au prix de longs tâtonnements, les gouvernements échangeaient des informations et des données visant à déterminer l'urgence et l'importance des points à traiter.

Or, en même temps qu'ils ont créé l'organisation de la Conférence islamique, les pays fondateurs ont mis sur pied la Banque Islamique de Développement. On n'est pas encore à la grande heure de l'Internet, mais les banques ont déjà des moyens de communication performants en mesure de transmettre des fichiers informatiques et les ordinateurs capables de stocker des informations sous la forme de banques de données accessibles à distance. Il s'agit d'un intranet avec toutes ses fonctionnalités.

Pendant mon stage à l'école de guerre de Jordanie, en 1985-86, j'apprends un mot arabe que les officiers ne remplacent pas par son équivalent anglais de "data base". Il s'agit du mot Qâeida-t-ulmuetiyât, qui veut dire lui aussi"la base de données". Comme nous n'avons pas d'ordinateurs à notre disposition, je m'intéresse à cette fascination pour ce mot venant du vocabulaire de l'informatique. Et c'est Shakeel Tarmuzy, notre condisciple pakistanais, qui me "met au parfum".

L'Organisation de la Conférence Islamique a décidé d'utiliser les moyens modernes de la Banque Islamique de Développement pour préparer ses réunions et pour communiquer ses décisions. Si les comptes rendus des réunions sont toujours édités dans différentes langues, il faut de plus amples renseignements aux fonctionnaires des États membres pour "coller" aux lignes directrices de la politique islamique élaborée ensemble.

Pour cela, toute une partie des mémoires de la Banque Islamique de Développement a été annexée au profit de la Conférence. On peut y accéder si l'on y est abonné, et alors, sur l'écran de son ordinateur, on peut lire les informations dont on a besoin. Tout est acheminé par un simple réseau téléphonique et les ambassades et gouvernements des pays membres sont abonnés au système.

Ce réseau s'appelle Al Qâeida. La base. Et ce mot a de nombreux sens comme en Français. C'est la base militaire, mais c'est aussi la base en chimie, comme la soude, par exemple. Et bien sûr c'est la base de données, en informatique. D'après ce que j'apprends au stage de l'école de guerre, on peut, si l'on est abonné, consulter deux bases : Qâeida-t-ulmaeloumât, la base [de données] d'informations et Qâeida-t-uttaelimât, la base [de données] des instructions, des directives.

Les officiers jordaniens font parfois référence à ce système en plaisantant. Par exemple, lorsque quelqu'un arrive un peu en retard au bus, en fin de service, on lui dit : "Attention, tu vas te retrouver dans la base d 'informations" sous-entendu, on va te signaler. Quand la plaisanterie se veut plus menaçante, on parle au "délinquant" de la base des instructions ou directives. Là, cela veut dire qu'une décision de sanction va être prise à son encontre. Et si la menace est au plus fort, on ne lui parle pas de Qâeida-t-ulmuetiyât, la base de données qui réunit les deux, mais simplement de Al Qâeida. C'est plus court.

Je dois dire qu'au début du stage, presque personne ne comprenait cette plaisanterie informatique. Les seuls qui en ont saisi dès le début les subtilités étaient les officiers de l'artillerie, de la défense aérienne, des transmissions et ceux de l'arme du renseignement.

Il est bien certain que l'accès à cette base demandait au début de sa mise en place des moyens qui n'étaient pas à la portée du tout venant, mais que divers groupes - ONG, particuliers, entreprises - ont maintenant les moyens d'acquérir. En 1986, l'Internet existe, mais reste essentiellement réservé aux universitaires, aux scientifiques et, bien sûr, aux militaires américains. Ce n'est pas que ce système de communication soit à l'accès filtré, mais c'est surtout que les systèmes d'accès destinés au grand public n'existent pas encore.

C'est pourtant en lisant un relevé de décision de l'OCI tiré d'un message électronique imprimé à l'ambassade du Pakistan à Amman que j'ai vu mon premier @ qui était encore noté <a>.

La conférence islamique, qui a pour but de préserver les valeurs traditionnelles de l'islam tout en rejoignant la modernité, s'est donné les moyens techniques les plus avancés pour atteindre ses buts.

Jugez de mon étonnement, quand après avoir passé plus de dix ans au contact d'une partie des différentes branches du terrorisme islamique, je découvre que les "cols blancs" de la CIA ou du FBI, ceux qu'on ne voit jamais sur le terrain, nous affirment doctement que le terrorisme islamiste est le fait d'une seule armée de l'ombre, dûment organisée et centralisée, sous le commandement d'un chef emblématique, barbu comme un imam de banlieue des années 80, Ussama bin Lâdin, et que cette armée s'appelle Al Qâeida.

Al Qâeida, quelle aubaine !

On a vu comment j'avais entendu parler d'Al Qâeida dans les années quatre-vingts. Plus tard, en traduisant des documents saisis par des services de police ou de contre-espionnage, je suis tombé sur des fax ou des notes de directives adressés à des exécutants chargés de rédiger les revendications des attentats commis par d'autres équipes. On y trouvait des passages entiers venant de textes assez feutrés de relevés de décisions ou de minutes de réunion de l'Organisation de la Conférence Islamique.

Il s'agissait pour les destinataires de ces directives de rédiger de façon relativement organisée des tracts énergiques de revendication d'actes terroristes localisés en s'appuyant sur des textes politiques généraux et somme toute assez modérés au départ.

Pour autant qu'on ait pu en juger, les expéditeurs de ces directives résidaient un peu partout dans le monde avec une nette prédominance d'adresses en Allemagne, en Belgique et surtout en Grande Bretagne. La source des textes de références à utiliser pour rédiger les tracts de revendication était indiquée de la manière suivante :

Min nasharat ilumâm ilmuttaHida : Issu des publications de l'ONU, ou Min AlQâeida : Issu de la base [de données]. Il y avait aussi des directives tirées des relevés de décisions de la Conférence des pays non-alignés. Pense-t-on pour autant que l'Assemblée Générale de l'ONU ou celle des Pays non-alignés sont des éléments terroristes ?

Plusieurs fois, j'ai dû expliquer ce qu'était cette fameuse "base" dite Qâeida. Et pendant des années, on a trouvé des directives d'Emirs locaux, en Algérie ou en Europe, qui faisaient référence à cette base de données. Personne parmi nous ne la prenait pour autant pour un réseau terroriste.

Comme toutes les entités multinationales musulmanes, le groupe financier Bin Lâdin a accès aux sites de la Conférence Islamique, dont la fameuse base de données. Alors, en accusant Ussama bin Lâdin de tous leurs malheurs, les dirigeants américains ont eu besoin de le doter de moyens diaboliques pour pouvoir expliquer les "défaillances" des services américains. Ceux-ci coûtent fort cher au contribuable et sont maintenant trop souvent détournés de leurs missions publiques au profit d'intérêts privés.

On a toujours avantage à présenter l'adversaire comme très dangereux. On a d'autant plus de mérite à le vaincre. C'est ainsi qu'on a prétendu que l'Irak alignait devant les forces de la coalition de 1990 "la quatrième armée du monde". Maintenant, l'administration américaine nous présente Bin Lâdin comme un général à la tête d'une armée secrète digne du KGB de la guerre froide !

Cela permet d'expliquer les échecs en cours partout dans la lutte de l'administration Bush-fils contre le terrorisme islamiste.

Tout le mal est dû à Bin Lâdin, selon la propagande de la Maison Blanche. Mais ce système a des limites. D'abord parce que Bin Lâdin n'a jamais revendiqué quelque attentat que ce soit malgré les commentaires de presse et de télévision. J'ai bien écouté ce qu'on nous a transmis des paroles de "l' ennemi public numéro 1". Comme je comprends Al Jazeera dans le texte, je l'ai entendu se féliciter, se réjouir, remercier Dieu, féliciter des gens que les Américains avaient désignés comme responsables des coups, je l' ai entendu exhorter les combattants à la bataille, mais jamais il n'a revendiqué le montage d'aucune opération.

J'irai même plus loin. Avant la polémique qui s'est développée sur l'Internet - et dans l'édition en France - autour de la frappe sur le Pentagone, Ussama bin Lâdin ne parle que des deux tours du World Trade Center, dans les cassettes qu'on lui attribue. Même dans une cassette qui semble complètement fabriquée par des propagandistes, il ne parle pas du ministère de la défense américain. C 'est pour moi très significatif. Les autorités américaines ont porté toute leur communication sur New York, laissant largement le Pentagone dans l'ombre. Dans cette fameuse cassette assez longue où l'on voit Bin Lâdin "en famille" et qui me semble une manipulation, il n'évoque que le World Trade Center. Si cette cassette est une manipulation des services américains, c'est qu'eux-mêmes ne veulent pas attirer l'attention sur ce qu'il faut bien appeler maintenant un "Pentagate". Et si ce n'est pas une manipulation, alors, c'est que Bin Lâdin n'a rien à voir avec la frappe sur le Pentagone puisqu'il omet d'en parler. Pourtant, c'est un coup d'une autre portée que de faire tomber deux avions sur des immeubles civils !

Seulement, lorsqu'on examine tous les aspects de cette propagande américaine, on est taxé immédiatement de "révisionnisme" par les zélateurs serviles de la thèse officielle.

Et pourtant, la réalité est qu'il n'y a pas d'armée de l'ombre qui s'appellerait Al Qâeida. Il y a un peu partout dans le monde des groupes de patriotes - ou de terroristes, suivant de quel côté du malheur on est né - qui se battent contre des oppressions ou comme mercenaires par goût de la violence.

Et je suis sidéré de voir de prétendus spécialistes du terrorisme, qui n'ont même jamais vu une bombe de près et encore moins un terroriste, répéter doctement les élucubrations des "analystes" de la CIA, destinées au public, donc mensongères. Car jamais un service de renseignement ne rend public ce qu'il sait.

Pendant des années, jusqu'en 1998 en service actif, j'ai travaillé sur le terrorisme islamiste avec quelques succès reconnus, et jamais il n'a été question nulle part d'un "réseau AlQâeida" ! Nous connaissions bien le néfaste Bin Lâdin qui hébergeait en Afghanistan des moudjahidin venus de tout le monde musulman pour semer la pagaille en Europe ou en Algérie. Nous savions que des instructeurs vivant en Afghanistan, au Pakistan et en Libye formaient ces combattants aux actions terroristes, puis au combat encadré quand les Musulmans de Bosnie-Herzégovine ont eu besoin de soldats volontaires pour remplir les rangs de leurs milices criminelles. Mais Bin Lâdin était intouchable, il n'était pas question de le mettre en cause : c'était un homme de la CIA.

Il faut la préparation de la guerre d'Afghanistan, et surtout les premiers commentaires de spécialistes autoproclamés qui se sont mis à tout expliquer sur le 11 septembre, pour que sorte des tiroirs de bureaux ce fantasme d'Al Qâeida armée verte secrète de Bin Lâdin que tout le monde considère désormais comme une réalité établie.

Il existe quand même des journalistes qui font leur travail, eux, et qui n'ont pas peur de publier ce qu'ils ont appris, même quand cela ne sert pas la soupe aux fauteurs de guerre.

C'est ainsi que dans un article qui contient par ailleurs un certain nombre d'inexactitudes, Alain Lallemand écrit le 11 septembre 2002 dans le journal Le Temps les lignes suivantes :

« Etonnant encore, car Al-Qaïda n'était au départ qu'une cellule de comptabilité des combattants arabes entrant et sortant d'Afghanistan, ainsi qu'un point de contact permettant aux familles des combattants de retrouver la trace d'un de leurs proches. Un projet très éloigné de "l'internationale terroriste" décrite actuellement. Al-Qaida aujourd'hui ? C'est une mission : "Renverser les régimes sans Dieu et les remplacer par des régimes islamiques". Ce qui, en pratique, prendra la forme d'une opposition à toute présence américaine dans le golfe Persique (Arabie Saoudite et Yémen en particulier) et en Somalie, présence perçue comme une colonisation.»

Je rends hommage à ce journaliste qui "s'étonne" de ce qu'on lui a dit de cette prétendue armée secrète. Il a bien raison.

Il est évident que les moyens initiaux de Al Qâeida ont évolué et que la base de données est maintenant hébergée sur des sites complets utilisant l'Internet. Seuls les aspects logistiques de cette base de données sont arrivés aux oreilles de ce journaliste honnête, et non son aspect de coordination politique artificielle. Mais que les aspects actuels de la lutte islamiste impliquent en outre une coordination apparente d'actions locales ne signifie pas qu'il existe pour autant un commandant mondial du terrorisme islamiste qui serait M. Ussama Bin Lâdin.

Et c'est justement parce qu'on ne le cherche pas où il faudrait qu'on ne trouve pas l'ennemi public numéro 1 du moment. Le capturer serait d'ailleurs très encombrant pour les démiurges internationaux qui ont conduit le monde à la situation actuelle. Supposons qu'il parle devant un tribunal international que ne reconnaît pas Washington ! Ce serait aussi dangereux pour les exécuteurs des basses oeuvres de la politique de la Maison Blanche que si Raznatovic, plus connu sous le nom d'Arkan, avait témoigné devant la cour pénale de La Haye. Plus de risque en ce qui le concerne, il a été fortuitement assassiné par des inconnus...

Non, Al Qâeida n'est rien d'autre qu'une variante de la Sainte Vehme [Société secrète allemande qui a semé le trouble dans la République de Weimar mais qu'on n'a jamais pu démanteler, parce qu'elle n'avait jamais existé] ou de la Mamma Coca appliquée au terrorisme.

Elle n'est rien d'autre qu'un moyen de coordonner maintenant que cela peut être utile, et uniquement par un discours politique extrémiste, les revendications de groupuscules violents totalement indépendants les uns des autres. C'est ce qu'on appelle une "nébuleuses". Elle n'a de réalité, en tant qu'armée secrète, que pour ceux qui l'invoquent. Seulement, à force d'en avoir parlé et de lui avoir donné un chef, les démiurges de la Maison Blanche pourraient bien être en train de lui donner ses lettres de noblesse et une certaine réalité. Qui sait, d'ailleurs si ce n'est pas ce qu'ils cherchent ?

Il a toujours fallu aux militaires américains donner un nom à leurs ennemis. Pendant la guerre froide, nous appelions les avions de combat russes par leur appellation soviétique, celle sous laquelle ils se vendaient sur les marchés d'armement : Mig 19, Mig 21, Mi 24, Mi 22, Mi8, Antonov 124, Sukhoï, etc. Les Américains, eux, donnaient des surnoms. Hind, Flogger, Fulcrum etc.

Ne serait-ce pas une forme de tentative d'exorcisme ? Mais en tout cas, ce n'est pas en partant à la recherche de ce qui n'existe pas qu'on peut en venir à bout. La guerre contre la prétendue Al Qâeida n'est donc pas près de se finir.

Tout ceci pourrait bien avoir un but inavoué : et si on nous bâtissait une nouvelle menace stratégique bien confortable et pratique, une sorte de nouvelle Armée Rouge, mais Verte et de l'ombre, celle-là , pour justifier de nouvelles dépenses de guerre au lieu d'investir dans le bien de l'humanité ?

 


Pierre-Henri Bunel, officier retraité des services de renseignements de l’armée française: auteur d’une expertise essentielle publiée dans Le Pentagate de Thierry Meyssan à propos du missile qui a frappé le Pentagone le 11 septembre 2001


jeudi 20 octobre 2016

Les États-Unis devront-ils aussi payer pour leurs crimes contre l'Irak ?

L'arab project in Iraq, un groupe de lobbyistes irakiens dirigé par Najeh al-Meezan, va demander au Parlement de Bagdad de voter une loi permettant aux Irakiens de réclamer des compensations aux Etats-Unis pour les «exactions » commises dans leur pays par les troupes américaines, les contractors et les escadrons de la mort créés par la CIA.

L’initiative prise par l’Arab project in Iraq fait suite au vote de la loi JASTA (Justice Against Sponsors of Terrorism Act), le 28 septembre dernier, par les deux chambres du Congrès US. Cette loi permet notamment aux familles victimes des attentats du 11 septembre 2001 d’engager des poursuites contre l’Arabie saoudite « soupçonnée » d’avoir aidé les pirates de l’air ayant écrasé leur avion sur les tours du World Trade Center (15 des 19 terroristes étaient de nationalité saoudienne). Le nom du prince Bandar, alors ambassadeur d’Arabie à Washington, proche de George W. Bush et de Dick Cheney, est cité dans les 28 pages, déclassifiées en juillet 2016, du rapport de la Commission d’enquête sur les attentats.

En 2007, l’Opinion Research Business (ORB) a estimé à 1 220 580 le nombre des victimes civiles en Irak, actualisant l’étude de chercheurs de l’Université Johns Hopkins – publiée un an plus tôt par le journal médical britannique The Lancet – qui en avait décompté plus de 600 000. Au-delà de la bataille sur le nombre d’Irakiens tués, on imagine le nombre de procès qui pourraient être intentés contre les Etats-Unis.

Le président Obama avait opposé son véto à la promulgation de la loi JASTA, arguant qu’elle «aurait un impact néfaste sur la sécurité nationale des Etats-Unis». Elle pourrait en effet conduire des fonctionnaires américains devant les tribunaux alors qu’ils jouissent d’une immunité judiciaire partout où les Etats-Unis interviennent militairement. Elle ne le met pas non plus à l’abri de poursuites judiciaires pour les assassinats qu’il ordonne via ses drones tueurs.

Pression de l’opinion publique et campagne électorale obligent, le Congrès a confirmé son vote, mais a laissé entendre qu’il pourrait y apporter quelques modifications plus tard. On devine lesquelles…
En attendant, l’Arab project in Iraq s’est engouffré intelligemment dans la brèche ouverte par la loi JASTA. Les députés irakiens suivront-ils ? Les agents américains qui peuplent le Parlement de Bagdad sont sans doute déjà à l’œuvre pour enterrer le projet que Najeh al-Meezan entend déposer.

Source

jeudi 29 septembre 2016

Quand la CIA utilise du LSD pour des expériences sur la conscience

Le projet top-secret MK-Ultra rendu célèbre par la série américaine Stranger Things est bien réel: la CIA mène en effet des expériences impliquant des moyens de manipulation de la conscience.

Tout service secret rêve d'obtenir un outil permettant de contrôler la psychologie humaine, qui résoudrait immédiatement beaucoup de problèmes vitaux — des réponses honnêtes lors des interrogatoires à la création d'"agents idéaux" dont le cerveau serait complètement sous le contrôle de leurs maîtres. Mais tous ne sont pas prêts à mettre ces rêves en pratique en lançant des recherches appliquées dans ce domaine. La CIA s'y est pourtant résolue et a même utilisé des citoyens américains — dont elle était censée défendre les droits et les libertés — comme cobayes.

L'idée d'organiser des recherches dans ce domaine a été pour la première fois avancée en avril 1953 par Richard Helms, responsable de l'Office of Special Operations et futur directeur de la CIA. Il avait réussi à persuader Allen Dulles, directeur de l'Agence à époque, de la nécessité de développer des "capacités d'utilisation secrète de matériaux biologiques et chimiques", ainsi que des "concepts physiologiques capables d'augmenter l'efficacité des opérations secrètes actuelles et futures". L'opération classifiée de la CIA portant sur l'utilisation de drogues afin de contrôler la conscience humaine a été baptisée "Projet MK-Ultra".

Toutes ces initiatives s'expliquaient évidemment par la nécessité de trouver une réponse adéquate aux agissements des Russes, qui développaient déjà certainement les mêmes programmes. Il fallait donc immédiatement lancer des recherches américaines pour "se protéger efficacement des tentatives de l'adversaire de nous influer de la même façon".

La plupart des expériences scientifiques américaines — si l'on peut parler de science dans ce cas-là — menées dans le cadre du projet MK-Ultra portaient sur le contrôle de la volonté humaine à l'aide de substances psychotropes. D'après Richard Helms, "tout superviseur était obligé de s'habituer à l'idée qu'il ne pouvait pas faire confiance complètement à son agent, qu'il ne pouvait pas compter à 100% sur le fait que ce dernier accomplirait sa mission car son corps et son âme n'appartenaient pas au superviseur". L'objectif était donc d'élaborer des méthodes permettant de créer des agents fidèles à la CIA, corps et âme.

Ainsi, la prétendue nécessité de se protéger des agissements des services soviétiques n'était qu'un prétexte démagogique cachant le sens réel des recherches de la CIA dans ce domaine: trouver des moyens de traitement psychotrope pour transformer des personnes en robots serviles. Le projet MK-Ultra a également porté sur la création d'un sérum de vérité et impliquait aussi des recherches de substances capables de provoquer la perte de mémoire.

La partie scientifique du projet était assurée par le docteur Sidney Gottlieb, chef de l'équipe chimique du département technique de la CIA. Les travaux étaient focalisés sur le LSD, drogue hallucinogène puissante créée peu de temps avant le début des recherches. Outre le LSD, les "scientifiques" de la CIA utilisaient pour leurs expériences des champignons spéciaux, de la mescaline, des amphétamines et du cannabis. Ces substances leur étaient fournies de manière illégale via l'agence toxicologique américaine. Les recherches étaient financées par des personnes interposées qui n'avaient officiellement aucun rapport avec la CIA et se déroulaient dans des centres scientifiques aussi prestigieux que l'hôpital de Boston, l'hôpital Mont-Sinaï, l'Université Columbia, le laboratoire de recherche du National Institute of Mental Health (Lexington, Kentucky), la faculté médicale de l'Université de l'Illinois, l'Université d'Oklakhoma, l'Université de Rochester, etc. Comme l'a plus tard indiqué l'amiral Stansfield Turner, directeur de la CIA, à la commission de Church du Sénat américain, le programme MK-Ultra a impliqué à différents niveaux 44 universités, 15 institutions de recherche et compagnies pharmaceutiques, 12 hôpitaux et cliniques, ainsi que 3 établissements pénitentiaires. Le financement du projet a atteint 25 millions de dollars. Toute fuite d'information sur le projet était immédiatement réprimée. Un rapport d'inspection de MK-Ultra effectué par le service de sécurité de la CIA indiquait notamment: "Il est nécessaire d'adopter toutes les mesures nécessaires pour cacher le déroulement de l'opération non seulement à l'adversaire, mais aussi à la population américaine. Des informations suggérant que l'Agence serait liée à des expériences peu éthiques et illégales pourraient provoquer des répercussions sérieuses au niveau politique, voire diplomatique". Les recherches utilisaient activement des prostituées comme "sujets d'expériences". Des agents de la CIA attiraient des "filles de rue" américaines dans des planques à New York et à San-Francisco, leur offraient des cocktails spéciaux pour ensuite enregistrer méticuleusement leur réaction à ces substances. On ne connaît pas les résultats de ces expériences sur ces participantes involontaires — certaines auraient bien pu être fatales comme avec le docteur Frank Olson, chef d'un département de la CIA, en novembre 1953. Cette expérience mortelle pour le docteur Olson a eu lieu le 18 novembre 1953 dans une maison de campagne du Maryland lors d'une réunion des participants au projet MK-Ultra et des scientifiques du centre chimique et bactériologique de Fort Detrick (Frederick, Maryland). Le centre travaillait sur son propre programme baptisé MK-Naomi, qui portait sur la création de poisons et d'antidotes. La liste des substances chimiques créées à Fort Detrick comprend notamment un toxique mortel dont une ampoule a été découverte chez Gary Powers, pilote de l'avion espion américain abattu le 1er mai 1960 au-dessus de l'Union soviétique. Il n'est pas rare qu'un médecin teste la substance qu'il a créée sur lui-même. Cette fois, le docteur Gottlieb a décidé d'agir autrement en expérimentant son produit sur ses collègues en ajoutant du LSD dans leurs boissons. Ce qu'il a fait le soir du 19 novembre. Le docteur Olson était l'un de sujets de cette expérience. La substance a provoqué chez Olson une agitation étrange. Il s'est rapidement assombri pour ensuite tomber dans la dépression. Les jours suivants, les symptômes se sont renforcés. Le 21 novembre Frank Olson s'est rendu dans le bureau du colonel Ruwet, son supérieur, pour demander de "rétablir" son vrai nom. Ensuite il s'est plaint d'une confusion dans sa tête et a évoqué des doutes concernant ses compétences. Ayant remarqué ces symptômes inquiétants dans le comportement de son employé, Ruwet a considéré que ce dernier avait besoin d'une aide psychiatrique. Après avoir débattu de la situation par téléphone avec Gottlieb et Robert Lashbrook, son adjoint, il a décidé de s'adresser à Harold Abramson, ancien psychiatre militaire, expert en LSD et homme familier de la CIA, ce qui était sans doute le facteur le plus important. Parallèlement, Olson devenait paranoïaque. Il nourrissait l'idée fixe qu'on ajoutait des substances dans son café, ce qui l'empêchait de dormir. La maladie ne cessait de progresser. Enfin, Ruwet et Lashbrook ont escorté Olson chez le docteur Abramson à New York. L'examen s'est soldé par un diagnostic de psychose aggravée accompagnée d'hallucinations, d'un délire de persécution et de démence. Le cas nécessitait une hospitalisation urgente.

Mais avant d'envoyer Olson dans un hôpital, on l'a installé à l'hôtel Statler au centre de Manhattan. Très tôt dans la matinée du 27 novembre, Robert Lashbrook, qui devait surveiller Olson et se trouvait dans la même chambre que ce dernier, a été réveillé par un son de verre brisé: Frank Olson s'était jeté d'une fenêtre du 10e étage de l'hôtel. Le corps était déjà entouré d'une foule. Lashbrook a fait tout son possible pour garder secret le nom du défunt. Avant d'appeler la police, il a tout rapporté à Gottlieb et au docteur Abramson. Ce dernier a d'abord refusé de participer à cette affaire répréhensible mais — après voir réfléchi — a enfin consenti à aider. Suite à l'arrivée de la police, Lashbrook a déclaré qu'il était employé du ministère de la Défense et qu'il n'avait aucune idée des raisons du suicide de cet homme. D'après lui, il savait seulement que ce dernier souffrait d'une maladie ulcéreuse. La CIA a donc réussi, sans déployer d'efforts extraordinaires, à imposer sa version à la police. 

Ayant pris connaissance de ces informations, le directeur de la CIA Allen Dulles a ordonné à Lyman Kirkpatric, inspecteur général de la CIA, de conduire une enquête détaillée. La direction de l'Agence s'était au préalable assurée qu'aucune personne tierce — y compris les policiers — ne pourrait faire le lien entre la mort d'Olson et la CIA et ses expériences sur l'utilisation du LSD. Des agents du service de sécurité de la CIA ont pris à New York et à Washington des mesures d'urgence afin d'assurer la solidité de leur version de la mort d'Olson. Lashbrook et Abramson se sont accordés pour donner les mêmes dépositions. A la fin de l'enquête, l'inspecteur général Kirkpartic a recommandé de sanctionner Gottlieb et les autres agents responsables.

La famille d'Olson a ignoré la raison de sa mort pendant plus de vingt ans, jusqu'à la publication en juin 1975 du rapport de la Commission Rockefeller créée par le président Gerald Ford pour enquêter sur les abus de la CIA. Ce texte mentionnait notamment un homme — sans indiquer son nom — qui avait été victime d'une expérience scientifique. La veuve d'Olson a supposé qu'il s'agissait de son mari et il s'est avéré qu'elle avait raison. Plus tard, le Congrès a décidé d'octroyer aux proches d'Olson une indemnisation de 750 000 dollars et le président Ford leur a présenté ses condoléances.

Autres sujets d'expérimentation de MK-Ultra: les toxicomanes, qui suivaient un traitement dans la clinique toxicologique du National Institute of Mental Health (Lexington, Kentucky). Les tests de la CIA dans cet établissement médical étaient dirigés par le docteur Harris Isbell. Ses recherches ont porté notamment sur les répercussions des effets prolongés et non-interrompus du LSD sur l'organisme humain. Ainsi, un groupe de sujets est resté sous LSD pendant 77 jours sans pause. Nommé plus tard directeur de la CIA, Richard Helms est arrivé à ordonner à temps la destruction de tous les documents liés au projet MK-Ultra. Une partie de ces derniers est pourtant restée intacte et a finalement été divulguée par la Commission Rockefeller au milieu des années 1970. Ces documents ont ensuite été examinés par la Commission Church, créée à des fins similaires par le Sénat américain. Son rapport soulignait notamment:

"Dès les années 1950 jusqu'à la clôture du projet en 1963, la CIA a mené des expériences sur l'utilisation du LSD impliquant des gens qui ne suspectaient rien et étaient transformés en cobayes contre leur gré. Cela témoigne du mépris de la direction et des employés de la CIA envers les droits de l'homme. Ils ont mis la vie d'êtres humains en danger alors même qu'ils étaient conscients des risques importants de leurs expériences".

Source

mercredi 28 septembre 2016

Ces laboratoires secrets qui mènent leurs expériences sur des humains

Des laboratoires top-secrets mènent depuis des années leurs expériences sur des cobayes humains. Une pratique aussi confidentielle qu'effrayante. Découvrez une séléction des expériences les plus choquants.

Quand la CIA efface la mémoire
La CIA américaine a mené plusieurs projets pour effacer l'identité: Bluebird (ou Artichoke, 1951-1953) et МК ULTRA (MKSEARCH, année 1950-1960). Les principaux cobayes étaient des patients inertes des cliniques neurologiques, dont la plupart ignoraient tout des expériences menées sur eux. Bluebird avait pour but de créer un sérum de vérité infaillible. En utilisant des substances psychotropes et les électrochocs, les chercheurs provoquaient chez les sujets une amnésie artificielle, leur inculquaient de faux souvenirs et "multipliaient" leur identité.
Le projet MK ULTRA était incomparablement plus coûteux et global. Il étudiait toute la diversité des moyens d'impacter la raison (y compris des enfants): de la biologie à la radiologie. Par exemple, dans le cadre d'un des 149 sous-projets, plus de 1 500 soldats américains recevaient avec leur nourriture des produits psychotropes pour évaluer leur opérationnalité "sous l'emprise des substances". L'information obtenue dans le cadre de MK ULTRA est utilisée aujourd'hui dans le travail des renseignements, même si en 1972 le projet a été fermé après un scandale et qu'une partie de sa documentation a disparu.

Pour une poignée de shekels 
L'armée israélienne a également mené des expériences sur ses soldats: on a appris en 2007 qu'entre 1998 et 2006, dans le cadre des projets secrets Omer-1 et Omer-2, des médecins militaires israéliens cherchaient un vaccin "contre une arme bactériologique similaire à l'anthrax". Les 716 soldats participant aux expériences n'ont pas été informés des risques, des éventuelles conséquences et il leur était interdit d'évoquer les détails des recherches avec leurs proches.
En 2007, un groupe d'anciens sujets souffrant des conséquences de cette expérience – tumeurs, ulcères, bronchite, épilepsie – s'est adressé au ministère de la Défense pour se plaindre de leur mauvais état de santé. Ils ont été soutenus par le syndicat des médecins et l'organisation Médecins pour les droits de l'homme qui sont allés jusqu'à la Cour suprême pour exiger une enquête. Mais ils ont obtenu l'effet inverse: le tribunal n'a pas seulement décliné la requête mais il a interdit de publier une partie des informations sur l'expérience. L'armée hésitait entre réagir en disant que rien ne s'était produit et mettre en avant que les soldats avaient accepté eux-mêmes. Il a été déclaré à la presse que les participants aux projets Omer étaient uniquement des volontaires qui savaient dans quoi ils s'engageaient et pouvaient quitter la partie à tout moment. Il a été suggéré aux victimes de s'adresser aux établissements médicaux où leur guérison promettait d'être longue, car les victimes ne disposaient pas de la moindre information sur les effets subis. Le principal concepteur de l'expérience, le docteur Avigdor Sheferman (ancien directeur de l'Institut israélien de biologie), est parti ensuite au Canada pour mener des recherches identiques dans une compagnie médicale. Les résultats des projets Omer ont été remis à l'armée américaine pour plusieurs centaines de milliers de shekels.

Une véritable ségrégation médicale
Les États-Unis sont leaders de ce genre d'expériences. C'est dans ce pays qu'entre 1932 et 1972 se déroulait une expérience qu'on pourrait considérer à la fois comme un symbole de ségrégation raciale et de barbarie médicale. A Tuskegee, Alabama, le groupe médical sous la direction du docteur Clark Taliaferro avait pour objectif d'étudier tous les stades de la syphilis.  L'étude consistait à suivre un groupe de Noirs déjà contaminés. Pourquoi? Car à cette époque ils étaient encore considérés comme moins instruits et plus influençables. La plupart ignoraient leur maladie – c'était une condition de l'expérience. Toutes les manipulations étaient présentées comme des "soins du mauvais sang". 76 des 399 participants sont restés en vie à l'issue de l'expérience. 128 personnes sont décédées de la syphilis et de ses complications. 40 hommes ont infecté leur femme et 19 enfants sont nés avec la syphilis. En 1946 l'expérience a été élargie: une partie des médecins a été envoyée au Guatemala où pendant deux ans ils infectaient sciemment des soldats, des prostituées, des prisonniers, des mendiants ou des malades mentaux – jusqu'à 5 000 personnes au total. C'est seulement en 1972 après la tribune d'un médecin dans le Washington Star qu'une commission spéciale s'est penchée sur les recherches à Tuskegee pour reconnaître leur illégitimité. Le gouvernement américain a alloué 9 millions de dollars pour aider les survivants, et 25 ans plus tard leurs proches ont entendu les excuses du président Bill Clinton. La trace latino-américaine n'a été découverte qu'en 2010 grâce à la publication des notes du docteur Cutler – l'un de ceux qui travaillaient pour ce programme au Guatemala. 750 victimes guatémaltèques ont porté plainte contre l'université Jones Hopkins, et Barack Obama a présenté ses excuses au peuple du Guatemala en la personne du président Alvaro Colom.

Des épidémies artificielles introduites dans le métro
Les chercheurs américains ne ménageaient pas vraiment leur grande nation. Des chimistes testaient sur les recrues l'effet toxique de l'ypérite (pour améliorer les masques à gaz), ou encore pulvérisaient des composants toxiques sur plusieurs villes canadiennes et américaines. Dans les années 1950, des épidémies artificielles ont été provoquées en Floride et en Géorgie. A la fin des années 1960, on a testé dans le métro de New York et de Chicago la vulnérabilité des passagers aux attaques biochimiques cachées en envoyant sous terre la bactérie Bacillus subtilis. En 1963-1969, le Pentagone a lancé sans avertissement sur les navires de sa marine plusieurs types d'armes chimiques et bactériologiques. Les analystes de la radiation soignaient à différentes époques les adénoïdes avec des barres de radium et le cancer de l'estomac (les diagnostics étaient faux) avec des injections de plutonium, nourrissaient des futures mères avec des sels de fer radioactif sous la forme d'une boisson de vitamines, faisaient exploser des bombes atomiques dans le Nevada et sur les îles Marshall, testaient l'iode radioactif sur les femmes enceintes et en nourrissaient les nouveau-nés. 

Des orphelins-cobayes
Les enfants ont toujours été les sujets les plus convoités par les chercheurs. "L'étude de l'effet des jugements de valeur sur la fluidité verbale des enfants" réalisée en 1939 à l'université de l'Iowa, connue comme "Monster study", est une expérience horrible même si elle n'a pas provoqué de nombreuses morts ni d'invalidités et impliquait seulement une influence verbale.  Le psychologue Wendell Johnson et son aspirante Mary Tudor ont sélectionné dans un orphelinat 22 enfants de différents âges, et dans les cinq mois qui ont suivi Tudor rendait régulièrement visite à chacun d'entre eux pour une conversation de 45 minutes. Certains appréciaient ces échanges car Mary les félicitait pour leur capacité de lecture et leur élocution. Mais d'autres enfants, après quelques visites, ont commencé à éprouver des problèmes d'élocution, de comportement et de réussite à l'école parce que Tudor se moquait d'eux et leur reprochait de faire des fautes verbales. Il faut dire que Johnson était guidé par un intérêt tout à fait scientifique: les véritables causes du bégaiement n'ont toujours pas été établies. Il supposait qu'il était possible de provoquer un bégaiement même en l'absence de prédispositions physiologiques. Les successeurs de Johnson et de Tudor jugent que les travaux de ces derniers sont les plus exhaustifs sur le bégaiement, y compris les premières informations qu'ils ont pu recueillir sur le rôle des sentiments et des pensées du bégayant. Par contre, les enfants traumatisés ont vécu avec leurs complexes toute leur vie. A l'issue de l'expérience, Mary Tudor est revenue plusieurs fois à l'orphelinat pour se repentir, espérant redonner aux enfants leur estime de soi. L'université, pour sa part, a tenu secrètes ces recherches jusqu'en 2001, date à laquelle la presse en a pris connaissance: l'établissement a alors présenté des excuses officielles aux victimes. En 2003, six d'entre elles ont saisi le parquet de l’État pour exiger de les indemniser pour préjudice moral. Quatre ans plus tard, ils ont obtenu 925 000 dollars pour tous les plaignants.

Une expérimentation pour éradiquer l'homosexualité dans un pays
Les victimes des expériences homophobes d'Aubrey Levin pourront difficilement compter sur une indemnité ou même une enquête officielle. Entre 1970 et 1989, l'armée sud-africaine faisait l'objet d'un "nettoyage" des recrues homosexuels. Les données officielles parlent de milliers de victimes mais nul ne connaît le chiffre réel. L'information sur ce programme a été révélée en 1995 dans le journal sud-africain Daily Mail and Guardian. Dans une interview le responsable du projet, ex-psychiatre en chef d'un hôpital militaire Aubrey Levin, affirmait: "Nous ne considérions pas les gens comme des cobayes. Nous avions seulement des patients qui voulaient guérir et venaient de leur plein gré". Il disait également pratiquer une "thérapie d'aversion sur les soldats homosexuels, sans pour autant recourir au choc électrique". Alors que s'est-il passé en Afrique du Sud à cette époque? Près de 900 opérations de "réorientation sexuelle" ont eu lieu dans des hôpitaux sud-africains dans les années 1970-1980 dans le cadre de programmes pour éradiquer l'homosexualité. Certains patients étaient "soignés" à l'aide de drogues et d'hormones, d'autres ont subi des méthodes radicales – un traitement d'aversion. Dans le cadre de ce dernier on reproduisait une forme "inadmissible" de conduite (par exemple, l'excitation de l'homosexuel avec des images pornographiques) tout en provoquant des sentiments désagréables (par exemple, un électrochoc), avant de montrer une image positive (photo d'une femme nue) sans électrochoc. La pratique traditionnelle admet le traitement d'aversion uniquement en dernier recours, et même dans ce cas le sentiment désagréable doit être équivalent à la piqûre d'une aiguille, et non faire voler en l'air les chaussures de l'individu, comme ce fut le cas dans les expériences de Levin. La mesure extrême du projet Aversion était la castration ou un changement forcé de sexe, et beaucoup de ceux qui l'ont subi ont choisi le suicide plutôt que de vivre dans un corps étranger. Finalement, la partie "scientifique" du projet fut un fiasco mais les seuls ennuis que ses instigateurs ont connu étaient avec leur propre conscience.

La conscience par intraveineuse
Certains ignorent que les exploits des chercheurs soviétiques dans l'élaboration de poisons ont même dépassé le niveau atteint par les expériences des nazis. Le "Cabinet spécial" (Laboratoire 1, Laboratoire X, Cellule), laboratoire toxicologique créé en 1921 par la direction du NKVD dirigé par le professeur Grigori Maïranovski, procédait à la recherche de poisons impossibles à identifier. Les expériences étaient menées sur des détenus condamnés à la peine capitale: 10 personnes pour chaque produit (sans compter les expériences sur les animaux). L'agonie de ceux qui ne mourraient pas immédiatement était suivie pendant 10-14 jours avant de les achever. Le poison recherché a été finalement trouvé: le carbylamine-choline-chloride ou K-2, qui tuait en 15 minutes et sans traces (les médecins légistes indépendants diagnostiquait un décès pour insuffisance cardiaque). Grigori Maïranovski travaillait également sur le "problème de sincérité" pendant les interrogatoires avec des produits médicaux et élaborait des poisons en poussière qui tuaient quand on les respirait… Au total, le Laboratoire 1 a fait entre 150 et 300 victimes (des criminels mais également des prisonniers de guerre), parmi lesquelles on peut également compter les médecins de la Cellule: des années plus tard Maïranovski, finalement condamné, écrivait que deux de ses collègues avaient mis fin à leur vie, que deux autres avaient perdu la capacité de travailler et que trois étaient devenus alcooliques.

Les testicules de jeunesse éternelle
La création d'un poison idéal sera probablement toujours d'actualité, tout comme la recherche de la pierre philosophale et de la fontaine de jeunesse. Par exemple, le professeur Preobrajenski du Cœur de chien écrit par Mikhaïl Boulgakov, pratiquait une méthode de rajeunissement assez répandue pour les années 1920: son homologue vivant aurait pu être le docteur américain Leo Stanley – à l'exception de leur mentalité. Ce médecin en chef d'une prison de San Quentin (Californie) était un adepte de l'eugénisme et testait différentes méthodes de purification de la race humaine: la chirurgie plastique (car la laideur extérieure provoque la laideur intérieure et inversement), les manipulations des glandes génitales et, pour finir, la stérilisation.
Il a commencé à mener des expériences sur le rajeunissement en 1918 en transplantant aux détenus âgés les testicules de jeunes criminels exécutés. La "matière première" a rapidement commencé à manquer et le docteur s'est alors orienté vers les animaux en utilisant des testicules de boucs, de sangliers et de cerfs. D'après ses rapports, les sujets éprouvaient un "gain de forces et se sentaient mieux" – on ignore s'il s'agissait d'un effet placebo ou d'un véritable rajeunissement mais le docteur promettait la seconde variante. Un autre but de l'étude était de confirmer l'hypothèse selon laquelle le comportement criminel dépendait des problèmes hormonaux. Pour régler les deux problèmes, il fallait donc stériliser le sujet — 600 détenus ont subi ce traitement jusqu'en 1940. Certains d'entre eux ne voulaient pas avoir d'enfants, d'autres voulaient rajeunir: le docteur Stanley présentait la stérilisation comme un moyen permettant de rajeunir et de guérir, il avait promis à certains un régime de détention plus souple. Cependant, son véritable objectif était de pacifier les gènes "criminels" et l'instinct sexuel qui poussait selon lui le criminel à récidiver. Il a poursuivi ses recherches jusqu'en 1951, et compte tenu de sa contribution à la réforme des établissements médicaux cette activité ne paraît pas absolument insensée.

L'hôpital du docteur Cotton
Contrairement aux recherches d'Henry Cotton, l'élève d'Alzheimer en personne à 30 ans déjà (à partir de 1907) dirigeait un hôpital psychiatrique à Trenton (New Jersey). Le poste de médecin en chef lui accordait de vastes opportunités pour tester en pratique son hypothèse sur l'origine des troubles psychiques. Il estimait que les gens devenaient fous par infection et que le foyer de cette dernière se trouvait avant tout dans les dents malades — très proches du cerveau. Par conséquent, la première procédure subie par les patients de Cotton était l'arrachage de dents.
Si cela ne fonctionnait pas, on continuait de chercher l'infection au hasard (ou par ablation): dans les amygdales, la vésicule biliaire, l'intestin, l'estomac, les testicules, les ovaires… Même la famille de Cotton n'a pas échappé à cette "chirurgie bactériologique" (nom donné par l'auteur de la méthode): il a arraché les dents de son épouse, de ses deux fils et même les siennes. Ce dernier acte avait été précédé par une dépression nerveuse suite à l'ouverture d'une enquête dans sa clinique par une commission du sénat local. Malgré les données reflétant une efficacité élevée de sa méthode (85% de guérison) diffusées activement par le docteur dans ses discours et ses articles, ainsi que la forte popularité de l'hôpital de Trenton (même les hommes aisés et les célébrités y envoyaient leurs proches pour une grande somme d'argent), en 1924 le conseil de tutelle a senti que quelque chose ne tournait pas rond et a consulté l'université Jones Hopkins. La docteure Phyllis Greenacre envoyée à l'hôpital pour vérifier les statistiques a découvert que seulement 8% des patients de Cotton guérissaient, 41,9% ne ressentaient aucune amélioration et 43,4% mourraient. Sachant que les 8% n'avaient pas subi de soins et que les 43,4% décédés avaient fait les frais de la pratique de Cotton.  L'enquête de la commission créée par le sénat local avait précisément pour but de découvrir les causes de cet état de fait mais elle a à peine eu le temps d'entamer son travail: des collègues de renommée et même des hommes politiques ont pris la défense de Cotton, qui a tranquillement repris son travail pour prendre sa retraite cinq ans plus tard. Personne n'a voulu poursuivre ses recherches.

Les bonnes nouvelles
Au courant de l'été 2014, les utilisateurs anglophones de Facebook ont été surpris d'apprendre que 689 003 d'entre eux avaient joué le rôle de cobayes contre leur gré dans une expérience conjointe des chercheurs américains et du réseau social. Les résultats parus dans le magazine Proceedings of the National Academy of Sciences stipulaient: "Les états émotionnels peuvent être transmis à d'autres individus à travers une infection émotionnelle, après quoi, sans en être conscients, ils peuvent éprouver les mêmes émotions". Cela signifie que la bonne et la mauvaise humeur sont contagieuses de la même manière que l'absence d'un contact direct n'empêche pas cette infection. L'expérience était simple: un groupe de sujets recevait dans son fil d'actualité des posts positifs, l'autre des messages négatifs. Les utilisateurs ont immédiatement réagi: les "heureux" ont commencé à publier des commentaires optimistes et le groupe attaqué par des posts négatifs a commencé à écrire des choses négatives.
Les militants ont critiqué les méthodes des chercheurs et ont même supposé que pour certains, le contenu négatif avait pu être "la dernière goutte" — mais avec autant de probabilité le contenu positif a aussi pu redonner espoir à quelqu'un. Dans l'ensemble, les deux manipulations peuvent être perçues comme un petit pas vers la sophistication des méthodes pour influencer le public. Par conséquent, il faut remettre en question et analyser tout ce qui tombe dans le champ de votre attention, sans oublier la probabilité qu'à chaque instant vous faites peut-être partie d'une expérience.

Source

samedi 24 septembre 2016

Des nazis au cœur du système militaire américain !


Dès la fin de la seconde guerre mondiale, la CIA lançait l'opération "Paperclip" destinée à recruter des anciens nazis spécialistes de l'espionnage, des fusées, mais aussi de la propagande, du conditionnement mental, de la guerre chimique et bactériologique, de l'expérimentation médicale et de la torture. Le but était de mettre leurs "talents" au service des Etats-Unis dans la lutte contre le nouvel ennemi: l'Union Soviétique et le communisme.

C'est ainsi que 1500 nazis, tous criminels de guerre, ont été intégrés à la CIA, dans l'armée, et dans l'industrie de l'armement où ils allaient diffuser leur mode de pensée, leurs méthodes, et tisser leurs réseaux. Parmi eux, il y avait notamment Werner Von Braun qui allait devenir le concepteur des fusées de la NASA et des missiles balistiques de l'armée, après avoir conçu les fusées allemandes V2 qui étaient utilisées par les nazis pour bombarder Londres.

Ce noyau de nazis transplantés au coeur du système américain était en phase avec une partie de l'élite américaine qui partageait la même vision et les mêmes objectifs: eugénisme, domination d'une "race supérieure", suppression de la démocratie, absence de toute considération éthique, idée que "la fin justifie les moyens", etc.

L'opération Paperclip a été dirigée par Allen Dulles, qui dirigea ensuite la CIA où il conçut l'opération Northwood (opération false flag de faux attentats contre des avions qui auraient ensuite attribués à Cuba afin de justifier son invasion). Ce qui lui valu d'être viré de la CIA par Kennedy choqué qu'un tel projet ait pu être imaginé.

Après quoi, Dulles a probablement participé à l'organisation de l'assassinat de Kennedy. Il a ensuite été l'un des 8 membres de lacommission Warren chargée par Lyndon Johnson de "faire la lumière" sur l'assassinat et qui est à l'origine de la version officielle de la balle magique avec tireur unique.

En fait, les nazis ont perdu la guerre, mais ils ont gagné l'après-guerre. Grâce aux Etats-Unis, ils sont acquis un pouvoir planétaire, au-delà de ce qui leur aurait été possible à partir de l'Allemagne ou même de l'Europe. Et pour contrôler la population, ils disposent désormais de technologie qui relèguent Hitler et la Gestapo au rang d'amateurs (fichiers informatiques, RFID, vidéosurveillance, biométrie, génétique, armes nucléaires, télévision, etc).

Voici un extrait de documentaire à propos de l'opération Paperclip et Allen Dulles (par ailleurs lié aux Rockefeller et à la Standard Oil), avec une interview de Robert Steele, ex agent de la CIA qu'on avait déjà pu voir dans "le monde selon Bush":  https://youtu.be/mnjwRoKlmQ8

Source
Wikipédia, CIA

vendredi 23 septembre 2016

Quand la CIA finançait les Frères Musulmans...

Le fonds E 4320, conservé aux archives fédérales à Berne, concerne Saïd Ramadan, le gendre d'Hassan el-Banna, fondateur des Frères musulmans égyptiens. Poursuivi par le régime nassérien, réfugié en Suisse en 1959, Saïd Ramadan a créé le Centre islamique de Genève, le premier institut de ce genre en Europe. Il est par ailleurs l'un des fondateurs de la Ligue islamique mondiale inspirée par les Saoudiens. Une note confidentielle des services secrets suisses datant du 17 août 1966 évoque la "sympathie" de la BUPO, la police fédérale sur la protection de l'État, pour Saïd Ramadan. Elle ajoute : "Il est très certainement en excellents termes avec les Anglais et les Américains."

Un autre ,document, daté du 5 juillet 1967, se montre encore. Saïd Ramadan est présenté comme un "agent d'information des Anglais et des Américains. De plus, je crois savoir qu'il a rendu des services - sur le plan d'informations - à la BUPO." Toujours est-il qu'une réunion, présidée par le chef du service du Ministère public fédéral, du 3 juillet 1967, décide d'accorder un permis de séjour à Saïd Ramadan, alors que ce dernier aurait dû être expulsé le 31 janvier 1967. Les raisons de cette tolérance ? La possibilité "que les amis de Saïd Ramadan prennent le pouvoir dans les mois à venir dans l'un ou l'autre État aujourd'hui qualifié de progressiste ou socialiste".

Saïd Ramadan et le président américain

Ces documents déclassés vont dans le même sens que l'ouvrage publié en septembre dernier par le journaliste américain Ian Johnson, lauréat du prix Pulitzer, Une mosquée à Munich. Les nazis, la CIA et la montée des Frères musulmans en Occident (*), on découvre que les Allemands, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont utilisé les Tchétchènes, les Kazakhs, les Ouzbeks, les musulmans vivant en URSS contre les communistes athées. Les Américains ont ensuite pris le relais, soutenant les islamistes contre le bloc communiste et ses satellites. En juillet 1953, une délégation de musulmans est invitée aux États-Unis, et reçue à la Maison-Blanche, parmi eux Saïd Ramadan.

Le 28 octobre dernier, dans un article intitulé "Le rôle mobilisateur de Saïd Ramadan", le site francophone Oumma.com montre la photo du président Dwight Eisenhower entouré des membres de la délégation. Saïd Ramadan est à sa droite. Le président américain estime que, dans ses relations avec les dirigeants arabes, "notre foi en Dieu devrait nous donner un objectif commun : la lutte contre le communisme et son athéisme", relève Ian Johnson. Quelques années plus tard, Saïd Ramadan, réfugié en Europe, traite avec Bob Dreher, un agent de la CIA installé à Munich.

Une thèse sur la charia

Saïd Ramadan vient d'obtenir en 1959 un doctorat en droit de l'université de Cologne pour sa thèse La charia, le droit islamique, son envergure et son équité. Il brûle d'envie d'étendre son influence à l'Europe entière. "Installé à Genève, il considérait Munich, à une journée de route de son domicile, comme l'endroit idéal où établir une sorte de base avancée", lit-on dans Une mosquée à Munich. La CIA finançait-elle directement Saïd Ramadan et les Frères musulmans en Europe ?

Ian Johnson reste prudent, dans la mesure où une partie des archives de l'agence de renseignements ne peut être consultée. "Tout indique que Dreher et l'Amcomlib eurent recours aux moyens financiers et politiques à leur disposition pour donner un coup de pouce au principal représentant des Frères musulmans en Europe", écrit-il. L'Amcomlib, ou American Committee for Liberation from Bolshevism, était un faux nez des services américains.

Il roulait en Cadillac

René Naba, ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP, penche davantage pour une sous-traitance par la Jordanie et l'Arabie saoudite. Pour preuve, Saïd Ramadan, de nationalité égyptienne, voyageait à cette époque avec un passeport diplomatique jordanien. Apparemment, le gendre d'Hassan el-Banna ne manquait pas de subsides, Une mosquée à Munich raconte ainsi qu'il roulait en Cadillac...

René Naba, ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP, penche davantage pour une sous-traitance par la Jordanie et l'Arabie saoudite. Pour preuve, Saïd Ramadan, de nationalité égyptienne, voyageait à cette époque avec un passeport diplomatique jordanien. Apparemment, le gendre d'Hassan el-Banna ne manquait pas de subsides, Une mosquée à Munich raconte ainsi qu'il roulait en Cadillac...

Décédé en 1995 à Genève, Saïd Ramadan est notamment le père de l'islamologue Tariq Ramadan, et de Hani Ramadan, qui lui a succédé à la tête du Centre islamique de Genève. Interrogé sur les liens éventuels de son père avec les services secrets américains et européens, ce dernier n'a pas souhaité nous répondre.

(*) Ian Johnson, Une mosquée à Munich. Les nazis, la CIA et la montée des Frères musulmans en Occident, JC Lattès

Source: Le Point