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samedi 22 octobre 2016

La naissance d'Al Qaida

Ce texte est extrait du livre "Proche-Orient, une guerre mondiale ?" De Pierre-Henri Bunel, paru en octobre 2004.


Toutes les sessions de la conférence Islamique donnent lieu à des relevés de décisions comme toutes les réunions destinées à servir à quelque chose. Pour mettre sur pied les ordres du jour, il fallait au début de l'histoire de l'Organisation de la Conférence Islamique de longues tractations entre les représentants des pays membres. Ces débats avaient lieu à Djeddah, siège du secrétariat de l'OCI, ou dans d'autres villes de pays musulmans. Au prix de longs tâtonnements, les gouvernements échangeaient des informations et des données visant à déterminer l'urgence et l'importance des points à traiter.

Or, en même temps qu'ils ont créé l'organisation de la Conférence islamique, les pays fondateurs ont mis sur pied la Banque Islamique de Développement. On n'est pas encore à la grande heure de l'Internet, mais les banques ont déjà des moyens de communication performants en mesure de transmettre des fichiers informatiques et les ordinateurs capables de stocker des informations sous la forme de banques de données accessibles à distance. Il s'agit d'un intranet avec toutes ses fonctionnalités.

Pendant mon stage à l'école de guerre de Jordanie, en 1985-86, j'apprends un mot arabe que les officiers ne remplacent pas par son équivalent anglais de "data base". Il s'agit du mot Qâeida-t-ulmuetiyât, qui veut dire lui aussi"la base de données". Comme nous n'avons pas d'ordinateurs à notre disposition, je m'intéresse à cette fascination pour ce mot venant du vocabulaire de l'informatique. Et c'est Shakeel Tarmuzy, notre condisciple pakistanais, qui me "met au parfum".

L'Organisation de la Conférence Islamique a décidé d'utiliser les moyens modernes de la Banque Islamique de Développement pour préparer ses réunions et pour communiquer ses décisions. Si les comptes rendus des réunions sont toujours édités dans différentes langues, il faut de plus amples renseignements aux fonctionnaires des États membres pour "coller" aux lignes directrices de la politique islamique élaborée ensemble.

Pour cela, toute une partie des mémoires de la Banque Islamique de Développement a été annexée au profit de la Conférence. On peut y accéder si l'on y est abonné, et alors, sur l'écran de son ordinateur, on peut lire les informations dont on a besoin. Tout est acheminé par un simple réseau téléphonique et les ambassades et gouvernements des pays membres sont abonnés au système.

Ce réseau s'appelle Al Qâeida. La base. Et ce mot a de nombreux sens comme en Français. C'est la base militaire, mais c'est aussi la base en chimie, comme la soude, par exemple. Et bien sûr c'est la base de données, en informatique. D'après ce que j'apprends au stage de l'école de guerre, on peut, si l'on est abonné, consulter deux bases : Qâeida-t-ulmaeloumât, la base [de données] d'informations et Qâeida-t-uttaelimât, la base [de données] des instructions, des directives.

Les officiers jordaniens font parfois référence à ce système en plaisantant. Par exemple, lorsque quelqu'un arrive un peu en retard au bus, en fin de service, on lui dit : "Attention, tu vas te retrouver dans la base d 'informations" sous-entendu, on va te signaler. Quand la plaisanterie se veut plus menaçante, on parle au "délinquant" de la base des instructions ou directives. Là, cela veut dire qu'une décision de sanction va être prise à son encontre. Et si la menace est au plus fort, on ne lui parle pas de Qâeida-t-ulmuetiyât, la base de données qui réunit les deux, mais simplement de Al Qâeida. C'est plus court.

Je dois dire qu'au début du stage, presque personne ne comprenait cette plaisanterie informatique. Les seuls qui en ont saisi dès le début les subtilités étaient les officiers de l'artillerie, de la défense aérienne, des transmissions et ceux de l'arme du renseignement.

Il est bien certain que l'accès à cette base demandait au début de sa mise en place des moyens qui n'étaient pas à la portée du tout venant, mais que divers groupes - ONG, particuliers, entreprises - ont maintenant les moyens d'acquérir. En 1986, l'Internet existe, mais reste essentiellement réservé aux universitaires, aux scientifiques et, bien sûr, aux militaires américains. Ce n'est pas que ce système de communication soit à l'accès filtré, mais c'est surtout que les systèmes d'accès destinés au grand public n'existent pas encore.

C'est pourtant en lisant un relevé de décision de l'OCI tiré d'un message électronique imprimé à l'ambassade du Pakistan à Amman que j'ai vu mon premier @ qui était encore noté <a>.

La conférence islamique, qui a pour but de préserver les valeurs traditionnelles de l'islam tout en rejoignant la modernité, s'est donné les moyens techniques les plus avancés pour atteindre ses buts.

Jugez de mon étonnement, quand après avoir passé plus de dix ans au contact d'une partie des différentes branches du terrorisme islamique, je découvre que les "cols blancs" de la CIA ou du FBI, ceux qu'on ne voit jamais sur le terrain, nous affirment doctement que le terrorisme islamiste est le fait d'une seule armée de l'ombre, dûment organisée et centralisée, sous le commandement d'un chef emblématique, barbu comme un imam de banlieue des années 80, Ussama bin Lâdin, et que cette armée s'appelle Al Qâeida.

Al Qâeida, quelle aubaine !

On a vu comment j'avais entendu parler d'Al Qâeida dans les années quatre-vingts. Plus tard, en traduisant des documents saisis par des services de police ou de contre-espionnage, je suis tombé sur des fax ou des notes de directives adressés à des exécutants chargés de rédiger les revendications des attentats commis par d'autres équipes. On y trouvait des passages entiers venant de textes assez feutrés de relevés de décisions ou de minutes de réunion de l'Organisation de la Conférence Islamique.

Il s'agissait pour les destinataires de ces directives de rédiger de façon relativement organisée des tracts énergiques de revendication d'actes terroristes localisés en s'appuyant sur des textes politiques généraux et somme toute assez modérés au départ.

Pour autant qu'on ait pu en juger, les expéditeurs de ces directives résidaient un peu partout dans le monde avec une nette prédominance d'adresses en Allemagne, en Belgique et surtout en Grande Bretagne. La source des textes de références à utiliser pour rédiger les tracts de revendication était indiquée de la manière suivante :

Min nasharat ilumâm ilmuttaHida : Issu des publications de l'ONU, ou Min AlQâeida : Issu de la base [de données]. Il y avait aussi des directives tirées des relevés de décisions de la Conférence des pays non-alignés. Pense-t-on pour autant que l'Assemblée Générale de l'ONU ou celle des Pays non-alignés sont des éléments terroristes ?

Plusieurs fois, j'ai dû expliquer ce qu'était cette fameuse "base" dite Qâeida. Et pendant des années, on a trouvé des directives d'Emirs locaux, en Algérie ou en Europe, qui faisaient référence à cette base de données. Personne parmi nous ne la prenait pour autant pour un réseau terroriste.

Comme toutes les entités multinationales musulmanes, le groupe financier Bin Lâdin a accès aux sites de la Conférence Islamique, dont la fameuse base de données. Alors, en accusant Ussama bin Lâdin de tous leurs malheurs, les dirigeants américains ont eu besoin de le doter de moyens diaboliques pour pouvoir expliquer les "défaillances" des services américains. Ceux-ci coûtent fort cher au contribuable et sont maintenant trop souvent détournés de leurs missions publiques au profit d'intérêts privés.

On a toujours avantage à présenter l'adversaire comme très dangereux. On a d'autant plus de mérite à le vaincre. C'est ainsi qu'on a prétendu que l'Irak alignait devant les forces de la coalition de 1990 "la quatrième armée du monde". Maintenant, l'administration américaine nous présente Bin Lâdin comme un général à la tête d'une armée secrète digne du KGB de la guerre froide !

Cela permet d'expliquer les échecs en cours partout dans la lutte de l'administration Bush-fils contre le terrorisme islamiste.

Tout le mal est dû à Bin Lâdin, selon la propagande de la Maison Blanche. Mais ce système a des limites. D'abord parce que Bin Lâdin n'a jamais revendiqué quelque attentat que ce soit malgré les commentaires de presse et de télévision. J'ai bien écouté ce qu'on nous a transmis des paroles de "l' ennemi public numéro 1". Comme je comprends Al Jazeera dans le texte, je l'ai entendu se féliciter, se réjouir, remercier Dieu, féliciter des gens que les Américains avaient désignés comme responsables des coups, je l' ai entendu exhorter les combattants à la bataille, mais jamais il n'a revendiqué le montage d'aucune opération.

J'irai même plus loin. Avant la polémique qui s'est développée sur l'Internet - et dans l'édition en France - autour de la frappe sur le Pentagone, Ussama bin Lâdin ne parle que des deux tours du World Trade Center, dans les cassettes qu'on lui attribue. Même dans une cassette qui semble complètement fabriquée par des propagandistes, il ne parle pas du ministère de la défense américain. C 'est pour moi très significatif. Les autorités américaines ont porté toute leur communication sur New York, laissant largement le Pentagone dans l'ombre. Dans cette fameuse cassette assez longue où l'on voit Bin Lâdin "en famille" et qui me semble une manipulation, il n'évoque que le World Trade Center. Si cette cassette est une manipulation des services américains, c'est qu'eux-mêmes ne veulent pas attirer l'attention sur ce qu'il faut bien appeler maintenant un "Pentagate". Et si ce n'est pas une manipulation, alors, c'est que Bin Lâdin n'a rien à voir avec la frappe sur le Pentagone puisqu'il omet d'en parler. Pourtant, c'est un coup d'une autre portée que de faire tomber deux avions sur des immeubles civils !

Seulement, lorsqu'on examine tous les aspects de cette propagande américaine, on est taxé immédiatement de "révisionnisme" par les zélateurs serviles de la thèse officielle.

Et pourtant, la réalité est qu'il n'y a pas d'armée de l'ombre qui s'appellerait Al Qâeida. Il y a un peu partout dans le monde des groupes de patriotes - ou de terroristes, suivant de quel côté du malheur on est né - qui se battent contre des oppressions ou comme mercenaires par goût de la violence.

Et je suis sidéré de voir de prétendus spécialistes du terrorisme, qui n'ont même jamais vu une bombe de près et encore moins un terroriste, répéter doctement les élucubrations des "analystes" de la CIA, destinées au public, donc mensongères. Car jamais un service de renseignement ne rend public ce qu'il sait.

Pendant des années, jusqu'en 1998 en service actif, j'ai travaillé sur le terrorisme islamiste avec quelques succès reconnus, et jamais il n'a été question nulle part d'un "réseau AlQâeida" ! Nous connaissions bien le néfaste Bin Lâdin qui hébergeait en Afghanistan des moudjahidin venus de tout le monde musulman pour semer la pagaille en Europe ou en Algérie. Nous savions que des instructeurs vivant en Afghanistan, au Pakistan et en Libye formaient ces combattants aux actions terroristes, puis au combat encadré quand les Musulmans de Bosnie-Herzégovine ont eu besoin de soldats volontaires pour remplir les rangs de leurs milices criminelles. Mais Bin Lâdin était intouchable, il n'était pas question de le mettre en cause : c'était un homme de la CIA.

Il faut la préparation de la guerre d'Afghanistan, et surtout les premiers commentaires de spécialistes autoproclamés qui se sont mis à tout expliquer sur le 11 septembre, pour que sorte des tiroirs de bureaux ce fantasme d'Al Qâeida armée verte secrète de Bin Lâdin que tout le monde considère désormais comme une réalité établie.

Il existe quand même des journalistes qui font leur travail, eux, et qui n'ont pas peur de publier ce qu'ils ont appris, même quand cela ne sert pas la soupe aux fauteurs de guerre.

C'est ainsi que dans un article qui contient par ailleurs un certain nombre d'inexactitudes, Alain Lallemand écrit le 11 septembre 2002 dans le journal Le Temps les lignes suivantes :

« Etonnant encore, car Al-Qaïda n'était au départ qu'une cellule de comptabilité des combattants arabes entrant et sortant d'Afghanistan, ainsi qu'un point de contact permettant aux familles des combattants de retrouver la trace d'un de leurs proches. Un projet très éloigné de "l'internationale terroriste" décrite actuellement. Al-Qaida aujourd'hui ? C'est une mission : "Renverser les régimes sans Dieu et les remplacer par des régimes islamiques". Ce qui, en pratique, prendra la forme d'une opposition à toute présence américaine dans le golfe Persique (Arabie Saoudite et Yémen en particulier) et en Somalie, présence perçue comme une colonisation.»

Je rends hommage à ce journaliste qui "s'étonne" de ce qu'on lui a dit de cette prétendue armée secrète. Il a bien raison.

Il est évident que les moyens initiaux de Al Qâeida ont évolué et que la base de données est maintenant hébergée sur des sites complets utilisant l'Internet. Seuls les aspects logistiques de cette base de données sont arrivés aux oreilles de ce journaliste honnête, et non son aspect de coordination politique artificielle. Mais que les aspects actuels de la lutte islamiste impliquent en outre une coordination apparente d'actions locales ne signifie pas qu'il existe pour autant un commandant mondial du terrorisme islamiste qui serait M. Ussama Bin Lâdin.

Et c'est justement parce qu'on ne le cherche pas où il faudrait qu'on ne trouve pas l'ennemi public numéro 1 du moment. Le capturer serait d'ailleurs très encombrant pour les démiurges internationaux qui ont conduit le monde à la situation actuelle. Supposons qu'il parle devant un tribunal international que ne reconnaît pas Washington ! Ce serait aussi dangereux pour les exécuteurs des basses oeuvres de la politique de la Maison Blanche que si Raznatovic, plus connu sous le nom d'Arkan, avait témoigné devant la cour pénale de La Haye. Plus de risque en ce qui le concerne, il a été fortuitement assassiné par des inconnus...

Non, Al Qâeida n'est rien d'autre qu'une variante de la Sainte Vehme [Société secrète allemande qui a semé le trouble dans la République de Weimar mais qu'on n'a jamais pu démanteler, parce qu'elle n'avait jamais existé] ou de la Mamma Coca appliquée au terrorisme.

Elle n'est rien d'autre qu'un moyen de coordonner maintenant que cela peut être utile, et uniquement par un discours politique extrémiste, les revendications de groupuscules violents totalement indépendants les uns des autres. C'est ce qu'on appelle une "nébuleuses". Elle n'a de réalité, en tant qu'armée secrète, que pour ceux qui l'invoquent. Seulement, à force d'en avoir parlé et de lui avoir donné un chef, les démiurges de la Maison Blanche pourraient bien être en train de lui donner ses lettres de noblesse et une certaine réalité. Qui sait, d'ailleurs si ce n'est pas ce qu'ils cherchent ?

Il a toujours fallu aux militaires américains donner un nom à leurs ennemis. Pendant la guerre froide, nous appelions les avions de combat russes par leur appellation soviétique, celle sous laquelle ils se vendaient sur les marchés d'armement : Mig 19, Mig 21, Mi 24, Mi 22, Mi8, Antonov 124, Sukhoï, etc. Les Américains, eux, donnaient des surnoms. Hind, Flogger, Fulcrum etc.

Ne serait-ce pas une forme de tentative d'exorcisme ? Mais en tout cas, ce n'est pas en partant à la recherche de ce qui n'existe pas qu'on peut en venir à bout. La guerre contre la prétendue Al Qâeida n'est donc pas près de se finir.

Tout ceci pourrait bien avoir un but inavoué : et si on nous bâtissait une nouvelle menace stratégique bien confortable et pratique, une sorte de nouvelle Armée Rouge, mais Verte et de l'ombre, celle-là , pour justifier de nouvelles dépenses de guerre au lieu d'investir dans le bien de l'humanité ?

 


Pierre-Henri Bunel, officier retraité des services de renseignements de l’armée française: auteur d’une expertise essentielle publiée dans Le Pentagate de Thierry Meyssan à propos du missile qui a frappé le Pentagone le 11 septembre 2001


dimanche 2 octobre 2016

Al Qaïda confirme collaborer avec la coalition internationale en Syrie

Le journal allemand Kölner Stadtanzeiger a publié lundi 26 septembre l’interview exclusive d’un des commandants du Front Al-Nosra à Alep, la branche d’Al-Qaïda en Syrie rebaptisée récemment Fatah Al-Cham et qualifiée de groupe « rebelle modéré ». Cette interview confirme un certain nombre d’analyses qui circulaient dans les médias indépendants, notamment en ce qui concerne la collaboration opérationnelle entre le Front al-Nosra et la coalition internationale, mais également la responsabilité des groupes djihadistes dans la crise humanitaire actuelle. Il est donc fort probable que les grands médias occidentaux engagés dans une nouvelle campagne de diabolisation du gouvernement syrien et de son allié russe ne lui donnent pas le moindre écho…

L’interview réalisée par le journaliste allemand Jürgen Todenhöfer, est d’une importance capitale. Outre les risques que comportait une telle opération en plein cœur des zones tenues par les groupes armés en Syrie, elle livre des informations de première main sur la collaboration entre les divers groupes djihadistes, au premier rang desquels Al-Nosra, et la coalition occidentale. Elle a ainsi été rapidement traduite en anglais, notamment par le média indépendant états-unien Moon of Alabama, et reprise par Zero Hedge.

La source interrogée par Jürgen Todenhöfer est l’un des commandants d’Al-Nosra, Abou al-Ezz.

La fiction des « rebelles modérés »

Le gouvernement syrien a maintes fois dénoncé la fiction des groupes « rebelles modérés » prétendument distincts des factions djihadistes qui bénéficient dans les faits du soutien opérationnel de certaines chancelleries occidentales et de la coalition. La campagne de bombardements aériens engagée par la Russie en septembre 2015 avait ainsi donné lieu à un florilège de réactions indignées en Occident dénonçant les frappes contre de prétendus « groupes d’opposition » au « régime » alors que les cibles des bombardements avaient été clairement identifiées par la Russie comme étant des groupes affiliés à Al-Qaïda, comme Ahrar al-Cham.

En février 2016, un reportage de la chaîne France 2 intitulé « Syrie le grand aveuglement« , réalisé parmi les groupes djihadistes d’Alep, montrait clairement la logique salafiste à l’œuvre dans les différents groupes djihadistes ainsi que la porosité entre les différentes factions de combattants se revendiquant toutes de la même idéologie. L’un des groupuscules djihadistes filmé par la chaîne exhibait ainsi son armement provenant de l’étranger, dont des missiles antichars MILAN de fabrication française.

Au final,le reportage confirmait les affirmations de Damas selon lesquelles il n’existait pas de groupes d’opposition « modérée » opérant en Syrie, l’Armée syrienne libre (ASL) apparaissant notamment comme une fiction marketing à destination de l’opinion publique occidentale. Voici ce que dit à ce sujet le commandant d’Al-Nosra interviewé par Jürgen Todenhöfer :

« Ils sont tous avec nous. Nous formons tous le Front al-Nosra. Un groupe se crée et prend le nom d’« Armée de l’islam» ou de «Fateh al-Sham». Chaque groupe a son propre nom, mais la croyance est homogène. Le nom global est Front al-Nosra. Une personne a, disons, 2 000 combattants. Elle forme alors un nouveau groupe et l’appelle «Ahrar al-Sham». La croyance, les pensées et les buts de ces frères sont identiques à ceux du Front al-Nosra. […] Si quelqu’un vient vous voir, fait de vous un «rebelle modéré» et vous offre à boire et à manger, allez-vous accepter son offre ou non ? »

Les déclarations Abou al-Ezz viennent ainsi confirmer une nouvelle fois la fiction de l’existence d’une « rébellion modérée ». Selon lui, Al-Nosra est soutenu militairement par différents pays de la coalition, dont la Turquie et les Etats-unis :

« Nous avons remporté des batailles grâce à des missiles TOW. Nous sommes parvenus à un équilibre des forces avec le régime grâce à ces missiles. Nous avons reçu des chars de la Libye par l’entremise de la Turquie, ainsi que des BM(lance-roquettes multiples). Le régime ne nous domine que par ses avions de chasse, ses missiles et ses lance-missiles. Nous avons capturé une partie de ces lance-missiles et en avons reçu pas mal d’ailleurs. Mais ce sont les TOWaméricains qui nous ont permis d’avoir la situation bien en main dans certaines régions. »

Des conseillers militaires étrangers sont également présents aux côtés du Front al-Nosra sur le terrain afin de former les combattants, notamment au maniement des armes et au travail de renseignement :

« Lorsque la «route» était fermée et que nous étions assiégés, il y avait ici présents des agents de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie saoudite, d’Israël et des États-Unis. […] Des experts dans l’utilisation des satellites, des missiles, des caméras de vidéo surveillance thermiques, du travail de reconnaissance… »

Si la collaboration entre Al-Nosra et Israël, notamment sur le plateau du Golan, avait déjà été documentée par les casques bleus de l’ONU, ainsi que l’implication de la Turquie, la présence de formateurs militaires américains aux côtés du groupe terroriste fait encore l’objet de vives dénégations de la part de l’état-major US. Le porte-parole du Département d’Etat Mark Toner, a ainsi réagit à une question d’une journaliste de Russia Today sur ce sujet en déclarant : « C’est des conneries », mais en admettant toutefois que d’autres pays de la coalition pouvaient effectivement fournir du matériel militaire au groupe terroriste. Les États-Unis se retranchent ainsi derrière une position officielle très hypocrite, se dégageant de toute responsabilité directe mais laissant comme souvent leurs alliés régionaux réaliser le sale boulot en toute connaissance de cause, ce que confirme l’interview du commandant d’Al-Nosra :

« Oui, les Etats-Unis soutiennent l’opposition[syrienne], mais pas directement. Ils soutiennent les pays qui nous soutiennent. »

En ce qui concerne la France, la présidence a reconnu que cette dernièrefournissait de l’aide militaire par l’intermédiaire de la DGSE aux groupes rebelles depuis 2012, dont des missiles antichar MILAN…

Les groupes djihadistes s’opposent à la livraison de l’aide humanitaire

Les chancelleries occidentales ont récemment dénoncé à l’ONU le bombardement d’un convoi humanitaire à destination des zones sous contrôle des groupes armés dans la région d’Alep en l’attribuant aux armées russes et syriennes. Cette attaque a été le prétexte à une nouvelle offensive diplomatique en faveur d’un cessez-le-feu dans le but officiel de permettre l’acheminement de l’aide à la population civile. Comme je le mentionnais dans un précédent article, la situation humanitaire constitue un argument de propagande destiné à décrédibiliser l’action militaire des gouvernements russes et syriens contre les groupes djihadistes soutenus par la coalition et ses alliés régionaux. Le but est d’imposer un cessez-le-feu à l’armée syrienne et à son allié russe afin de redonner des marges de manœuvres aux combattants rebelles dont la situation à Alep est très précaire. Cette analyse est confirmée par les propos d’Abou al-Ezz qui affirme :

« Nous ne reconnaissons pas le cessez-le-feu. Nous allons repositionner nos groupes. Nous allons lancer dans les prochains jours une attaque massive contre le régime. »

Cette attaque a bien eu lieu après le bombardement des positions de l’armée syrienne près de l’aéroport de Deir ez-Zor le 17 septembre – qui auraient fait entre 80 morts et plus de cent blessés parmi les militaires syriens – qui a coïncidé avec une offensive de l’Etat Islamique. Si les États-Unis ont parlé d’un « accident », cette version ne tient pas selon le président Al-Assad :

« Ce n’était pas un accident, tout d’abord parce qu’il n’y a pas eu qu’un seul avion impliqué dans l’attaque. […] Il s’agissait de quatre avions, qui ont attaqué sans relâche les positions des troupes syriennes, durant un heure environ. Vous ne commettez pas une erreur pendant plus d’une heure.»

Alors que les missiles anti-chars TOW et MILAN ont permis aux groupes djihadistes affiliés à Al-Nosra, de tenir tête au régime et de rééquilibrer le rapport de force militaire au sol, la campagne actuelle de propagande utilisant le prétexte humanitaire a également pour but de faire progresser l’idée, notamment dans les opinions publiques, de la nécessité d’une zone d’exclusion aérienne qui priverait l’armée régulière syrienne de son seul avantage et du soutien essentiel de l’aviation russe. C’est aussi ce que confirme Abou al-Ezz lorsqu’il affirme : « Le régime ne nous domine que par ses avions de chasse, ses missiles et ses lance-missiles. »

Le secrétaire d’état américain John Kerry a ainsi demandé l’imposition d’une zone d’« exclusion aérienne » sur les secteurs contrôlés par les « rebelles » sous prétexte d’assurer la livraison de l’aide humanitaire mercredi dernier au conseil de Sécurité des Nations Unies. Pourtant, là encore, le commandant d’Al-Nosra Abou al-Ezz contredit la version occidentale et confirme celle du gouvernement syrien qui affirmait que les groupes rebelles empêchaient le déploiement de l’aide humanitaire dans la région d’Alep :

« Nous avons des conditions. Tant que le régime est positionné le long du chemin Castillo, à al-Malah et dans le secteur nord, nous ne laisserons pas ces camions passer. Le régime doit se retirer de tous ces secteurs avant que ces camions ne puissent passer. »

S’il est très improbable que cette interview soit reprise dans les médias traditionnels, qui jouent depuis le début du conflit le rôle de relais et d’amplificateurs de la campagne de propagande orchestrée par les États-Unis et les membres de la coalition internationale, la présence de l’armée russe sur le théâtre syrien a cependant permis l’émergence d’une autre version des faits qui se déploie dans les médias russes, notamment Russia Today ouSputnik, et les médias indépendants, mais également dans les institutions internationales comme le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Malgré les différentes initiatives des États-Unis et de leurs alliés pour contrer ou faire taire ces voix divergentes dans un contexte de guerre de l’information, elles restent aujourd’hui le principal rempart contre l’imposition d’une réalité falsifiée qui avait permis l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et la destruction de la Libye en 2011, il est d’autant plus vital de les soutenir, de les relayer, et de les faire vivre aujourd’hui…

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