jeudi 15 septembre 2016

Célébrer l'Aïd el kébir autrement

L’aïd-el-adha n’est nullement un jour de « baraka », quand on voit le comportement de certains fidèles ! Au lieu de penser avec notre cœur et notre esprit par la lecture du Coran et la réflexion sur soi, on pense avec notre estomac en ne mangeant plus que d’habitude pour se goinfrer au lieu que ce soit un jour d’entraide ! 

Cette attitude bloque la réflexion de fond sur le sens du sacrifice dans l'Islam et d'aller voir ce que dit réellement l'Islam au sujet du sacrifice animal, en distinguant ce qui ressort de la Loi imposée (Shari'áh), et ce qui ressort de la Tradition acceptée (Sunnah), bien que l'application concrète des principes puisse être rendue difficile par le poids des habitudes et de l'environnement du croyant. 

Animals in Islam, écrit par Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri, qui fut l'imam de la mosquée Shah Jahan de Woking, au Royaume-Uni, de 1964 à 1968. Celui-ci dit en particulier : " Ne pas être cruel envers les animaux, ou même faire preuve d'une bienveillance condescendante à l'égard de nos soi-disant " inférieurs ", cela n'est que formulation négative. L'islam demande que nous pensions et agissions de façon positive, en admettant les diverses espèces comme autant de communautés semblables à la nôtre, ayant leurs propres droits et en ne les jugeant pas selon nos critères humains et nos échelles de valeurs. 

Ainsi, il n'est pas indifférent de s'apercevoir que certaines voix, et non des moindres, tiennent un discours qui semblent remettre en cause les sacrifices d'animaux lors de l'Aïd, que beaucoup pensent être une obligation de la foi musulmane. Pour comprendre ce point de vue, il faut se demander quelle place occupe donc cet acte dans la foi musulmane et s'il fait réellement partie des obligations du croyant ? 

L'islam se vit sur la base de pratiques qui relèvent soit d'une Loi, soit d'une Tradition ; or, parlant des nombreux versets du Coran qui fondent la pratique du sacrifice (en particulier dans la sourate 22), Masri n'hésite pas à dire : " Les musulmans pensent généralement que ces versets instituent une obligation à sacrifier des animaux pendant la fête du pèlerinage et que remplacer les animaux par un autre type d'offrande serait contraire à la Loi. Cependant, une étude plus attentive de ces textes montre très clairement que l'approche coranique ne fait pas du sacrifice animal une fin en soi ; elle en fait un moyen destiné à servir un besoin social ". 

Reconnaître que le sacrifice d'un animal n'est pas une obligation coranique. Nous sommes en effet dans le domaine de la Tradition, qui est contingente et non de celui de la Loi, qui est intangible. Masri rappelle par ailleurs que les compagnons du prophète Muhammad lui ayant demandé un jour pourquoi il était permis dans l'Islam de continuer à sacrifier des animaux, celui-ci leur répondit : " C'est une tradition qui fait mémoire de votre patriarche Abraham " 

La mémoire de cet acte (Sacrifice d’Abraham) occupe donc une place centrale dans la pratique islamique, mais les citations de Masri montrent qu'il n'y a aucune obligation à la voir se traduire chaque année par le sacrifice rituel d'animaux lors de la Fête de l'Aïd. 

La tradition des sacrifices d'animaux, ne réside pas tant dans le fait qu'un malheureux bélier ait été substitué à Isaac, que dans l'expression utilisée par Masri : " un moyen destiné à servir un besoin social ". Lors d'une conférence tenue au Caire en 1966, sous les auspices de l'Académie de Recherche Islamique, un certain nombre d'érudits musulmans se sont exprimés sur le sujet du sacrifice animal dans l'Islam ; Masri cite une de leurs conclusions : " Le Coran formule clairement que le Créateur ne désire pas le sacrifice en tant que tel, mais en tant que symbole de la dévotion à Dieu du sacrifiant, selon ce qu'il ressort du verset suivant : 'Sachez que ni leur chair ni leur sang n'atteignent Dieu ; seule votre rectitude l'atteint' (Coran, 22:37). Ce verset indique expressément que le sacrifice n'est pas censé être en lui-même une composante essentielle de l'islam, mais un acte de charité destiné aux pauvres ". 

Cette expression du sacrifice en tant que but social est primordiale pour la compréhension du sens profond de cet acte ; elle permet de lier sa perpétuation à une nécessité d'ordre humanitaire, à la nécessaire compassion envers les frères humains dans le besoin, en tant que témoignage de la compassion que Dieu accorde à l'homme. Masri par ailleurs, de " saisir l'esprit du message plutôt que d'accorder une dévotion indue à la lettre ". 

Il apparaît ainsi à celui qui veut bien se donner la peine de réfléchir à l'esprit des textes que le but premier pour lequel les sacrifices d'animaux ont été autorisés dans l'Islam est tout simplement un but de charité sociale. Masri cite d'ailleurs une autre autorité islamique commentant en ces termes la question de la consommation de la viande du sacrifice : " Alors qu'il est simplement permis aux pèlerins de consommer une partie de la viande des animaux qu'ils ont sacrifiés, il est obligatoire de nourrir les pauvres et ce point constitue par conséquent l'objectif premier de ces sacrifices ". 

On peut comprendre que dans des circonstances historiques données, le don de nourriture carnée ait constitué une nécessité pour subvenir à certains besoins alimentaires mal assurés par une agriculture trop fragile ou trop peu diversifiée ; le cas a pu se présenter sur des périodes de temps assez longues et sur des territoires étendus,; on peut certainement trouver des justifications à la perpétuation des sacrifices dans les zones d'influence musulmane en arguant du souci humanitaire que l'Islam professe à l'égard des défavorisés ; mais à l'heure actuelle, où tant d'aliments sont disponibles, qu'est devenue la compassion pour les animaux qui apparaît aussi être un souci majeur de l'Islam, selon ce qu'en disait Masri dans le premier texte cité ? Les pauvres sont-ils toujours au centre du rituel du sacrifice ? 

Face à des comportements traditionnels qui se perpétuent en aveugle, Masri met lui-même en garde et sans concession : " Quatorze siècles sont une période de temps suffisamment longue pour arriver à comprendre que le chemin du développement spirituel ne passe pas par l'observance ritualiste de la Loi coranique, ni par le fait de lui couper les cheveux en quatre. Sûrement, le temps est venu de nous libérer des caractéristiques préislamiques de nos cultures respectives (…) Pendant les premiers temps de l'Islam, la tradition d'offrir des animaux avait un sens. La viande était alors un ingrédient essentiel de l'alimentation humaine et aucune miette n'en était perdue. De nos jours, tuer [des animaux] est devenu un rituel vide et le sens profond [de l'acte] a été oublié ". 

Si le sacrifice ne se justifiait qu'en tant que nécessité sociale, liée à certains contextes géo-historiques et s'il a donc perdu actuellement sa nécessité, la dernière question qu'il reste à poser est de savoir par quoi le remplacer. Il pourrait être remplacé par tout autre don à visée humanitaire, en nature ou en argent, offert en tout endroit du monde où le besoin s'en fait sentir ; on aura compris que ce qui compte en effet n'est évidemment pas d'égorger un mouton, mais d'accomplir un acte symbolique de dévotion qui ne prend tout son sens que dans la perspective de la sollicitude coranique envers les nécessiteux. 

Soheib Bencheikh, ex-mufti de Marseille, estimait que l'immolation d'un mouton à l'occasion de l'Aïd el-Kebir, " n'est ni un pilier de l'Islam, ni une obligation majeure comparable à la prière ou au jeûne du Ramadan " ; il ajoutait, parmi ses considérations, que le droit musulman permet de remplacer cet acte par " un don fait dans un pays où les habitants ne mangent pas à leur faim, ce qui est plus conforme à l'esprit du partage que comporte cette pratique ". 

TOUS LES MUSULMANS PEUVENT CÉLÉBRER L’AID DIFFÉREMMENT CAR DES ALTERNATIVES EXISTENT (LE DON A UNE ORGANISATION QUI VIENT EN AIDE A DES DÉMUNIS, METTRE EN CONSERVE DE LA VIANDE SACRIFIÉE LAQUELLE SERA ALORS DISTRIBUÉE A DES FAMILLES QUI NE PEUVENT ABATTRE ELLES-MÊME UN MOUTON OU BIEN OFFRIR UN MOUTON AUX FAMILLES NÉCESSITEUSES. 

S'il est clair que les musulmans ont un gros effort à faire pour mieux appréhender l'Islam, qu'il est indispensable que se développe une réflexion sur la dimension symbolique du sacrifice animal, afin de ne pas transposer une tradition historiquement connotée en un dogme, dont la manifestation extérieure la plus visible se traduit par l'égorgement d'animaux. 

Les temps actuels offrent de multiples solutions de remplacement à cela, si l'on veut vraiment faire preuve de bonté. Le Coran ne précise-t-il pas que Muhammad fut envoyé comme " secours pour toute la création " (Coran, 21:107) et non pas pour la seule espèce humaine ? Cela ne devrait-il pas faire réfléchir ? Le temps n'est-il pas venu de transcender l'adhésion aveugle à des rituels non seulement inutiles en fonction du but qu'ils sont censés remplir, compte tenu du contexte socio-économique actuel, mais aussi indésirables du fait de l'évolution des conceptions morales ? Masri disait dans l'introduction à son livre : " ma façon de voir les choses est que la vie sur terre forme une unité homogène si inextricablement entrelacée, qu'il est impossible d'en démêler l'écheveau pour favoriser une espèce au détriment d'une autre ". 

La fête du sacrifice est plus qu’un simple évènement religieux, c’est une grande fête familiale et sociale synonyme de miséricorde, de joie, de partage et de fraternité. Donner et faire le bien avec autrui est une règle chez les musulmans qui prend une importance toute particulière ce jour-là mais également en laissant parler la spiritualité et la considération pour la vie qui émanent de l'Islam.

Source

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire